Et après…?

Le vent souffle légèrement et la brume enveloppe tout autour de nous, ne laissant rien apparaitre à l’horizon, à l’exception de quelques rares ombres fantomatiques au large de Portsmouth. Plus d’un an s’est écoulé depuis notre départ de France, et nous sommes cette fois définitivement de retour, sans retour en arrière possible.

Ce matin, au port de Portsmouth…

Ce matin, au port de Portsmouth…

Depuis quelques jours seulement on y repense, et je réalisait que c’était sans doute mieux ainsi, qu’un projet comme celui-ci, aussi fou qu’il soit, ne doit pas se vivre en pensant trop à l’après. Pendant très longtemps la question de ce retour était une question interdite qui ne devait être abordée qu’en cas d’extrême nécessité, mais maintenant qu’on y était… Maintenant je m’inquiétais. De demain, des jours suivant… Nous avons mis toutes les épaisseurs disponibles dans nos sacs pour nous réchauffer, mais rien n’y fait et en ce samedi matin le froid est mordant… Difficile de croire que quelques dizaines d’heures avant nous étions encore sous des latitudes offrant des températures bien plus clémentes à Mumbai!

Elodie sort de la chambre du dernier hôtel de notre tour du monde, à Portsmouth, en Angleterre… Quelle drôle d'impression…

Elodie sort de la chambre du dernier hôtel de notre tour du monde, à Portsmouth, en Angleterre… Quelle drôle d'impression…

Il y a quelques minutes, nous avons quitté la « perfide albion » en embarquant sur ce ferry, direction Ouistreham, près de Caen. La France, notre terre natale. Déjà. Et toujours cette lancinante question trottait dans ma tête… Et après?

Nous avons traversé en un an de nombreux territoires villes, déserts, forêts et plus, des terres les plus arides aux plaines les plus clémentes, des zones les plus peuplées aux steppes désertées par l’homme, nous avons croisé d’innombrables personnes souvent anonymes, qui parfois nous ignoraient, parfois venaient spontanément à nous, pour nous proposer de l’aide ou tout simplement discuter…

Ce voyage aura été si intense en émotions, tout simplement! Pour ne reprendre qu’un exemple récent, notre séjour en Inde restera marquant, une étape clé dans notre parcours totalement différent de tout ce que nous avions vécu jusqu’à présent, et je crois que le placer en fin de parcours aura été une des meilleures idées que nous aurons eu en prévoyant nos pays, je lis ou j’entends tellement de personnes ayant fait un voyage au long cours détestant ce pays, peut-être à cause du choc culturel qui aurait sans doute été moindre après quelques autres pays. Ailleurs règne une certaine solidarité, une innocence que les Indiens semblent avoir non pas perdue, mais masquée, n’affichant au grand jour qu’une distance importante avec les étrangers comme entre eux , une froideur assez effrayante que ne s’étiole qu’à leur bon vouloir, dans un territoire difficile, entre zones inondables et déserts arides, un sud accablant de chaleur et un nord « la tête dans les nuages et les pieds dans la neige ». Là bas, si on veut aller en face on marche droit, peu importe dans quoi on met les pieds, peu importe s’il faut bousculer quelqu’un au passage. Et si les femmes ont droit à un minimum de respect, les enfants, eux, ne sont même pas considérés dans ce monde d’adultes, et ils doivent lutter sans cesse pour exister! Un pays étrange et fascinant, aux sites époustouflants et à la culture si différente qu’il est presque impossible de la comprendre, seulement observable!

Et partout le même constat, difficile de pouvoir tirer des conclusions sur ce que nous avions vu – ou pas vu d’ailleurs – de parler de choses dont on nous avait parlé. Plus que jamais dans ce voyage j’avais acquis la conviction de Saint Thomas, « je ne crois que ce que je vois », et de ne parler que de ce que nous avions effectivement vécu, ne pas généraliser ou déformer à outrance notre vision des choses par des a priori parfois sans fondements. Je reviendrai sans parler (sauf exceptionnellement aujourd’hui) « des cadavres qui flottent dans le Gange et par centaines sur le bord des routes d’Inde », des « vols et menaces quotidiennes sur les touristes au Pérou » ou du « tourisme sexuel des mineurs en Thaïlande », des évènements auxquels nous n’avons jamais été témoins et qui, quand bien même ils sont une (relative) réalité nous n’avons ni les connaissances ni les expériences requises pour les traiter. On pourrait parler de choses qu’on ne connait pas, mais souvent nos compatriotes érigent leurs discours au rang de vérité absolue des on-dit et autres préjugés, peut-être assortis d’un œil déformé par ces préjugés…

Pendant un an, nous aurons été des "World Travellers"

Pendant un an, nous aurons été des "World Travellers", pour tenter d'observer sans juger

Je crois que nous avons changé durant ce voyage, changé d’angle de vue, pas complètement, mais légèrement décalé… Je crains que nous devenions des étrangers dans notre pays, une sensation étrange et douloureuse, j’ai peur de ne pas comprendre,  de ne plus comprendre. C’est nous qui avons sans doute changé, au fond, sans doute plus que ce que j’imaginais avant de partir… J’ai du mal à exprimer ce que je ressens, la confusion règne en moi. Parfois, j’aimerais tant sauter dans une machine à remonter le temps et faire ce voyage d’un an de nouveau!

Élodie, avec son billet en quittant l'Inde

Élodie, avec son billet en quittant l'Inde

Et en rentrant, comment observerons-nous nos familles, nos amis, nos proches, les lieux qui nous sont familiers? Avoir un regard sur des choses nouvelles est une chose, mais un regard sur ce (ceux) qu’on connait déjà? Au début, ça sera une redécouverte, un plaisir qu’on ne connait qu’en voyage, puis ensuite, je crains une certaine lassitude, nous qui nous sommes habitués à l’exigence du changement permanent. Je crains encore plus l’immobilisme des choses de retour en France. Les mêmes objets aux mêmes places, les mêmes habitudes alors que nous avons changé les nôtres, les mêmes programmes télé un an après, aux mêmes horaires et débitant la même chose, les mêmes sujets de conversation avec toujours les mêmes questions… Comme un oiseau qu’on aurait fait sortir de sa cage et qu’on invite un peu plus tard à la regagner. Et paradoxalement, je crains aussi le changement, voir nos neveux trop grands, ma grand-mère fatiguée par le temps, ma soeur quitter le cocon familial, ma famille changer de domicile après trente cinq ans dans le même domicile, « ma » maison. Mais, comme le disait ma maman au téléphone, « ce n’est pas parce que vous avez changé pendant un an loin de nous que nous n’avons pas le droit de changer aussi! », ce qui est vrai, mais qui, égoïstement, me terrifie.

Et après, que deviendrons nos nouvelles habitudes, nos réflexes matinaux, comme se demander l’heure qu’il est en France, nous habiller en sautant du lit pour aller prendre le petit déjeuner dans une salle ou restaurant à proximité, prendre en photo le lit dans lequel nous allons dormir en arrivant dans une nouvelle chambre, vérifier qu’on a rien oublié en retournant les draps et scrutant sous le lit, pester contre ce dernier, au sommier sans lattes où on ne peut pas accrocher notre sac de voyage, fermer ce même sac d’un coup de doit sec pour tourner aléatoirement les chiffres du cadenas après avoir rangé méthodiquement les affaires dans un ordre très précis, nous brosser les dents dans la chambre pour ne pas squatter inutilement la salle de bain commune, vérifier qu’il nous reste de l’argent dans le porte monnaie et rechercher un distributeur d’une banque qui a passé un accord avec la nôtre, se demander où on va manger aujourd’hui? Que deviendrons-nous, tout simplement?

El Calafate : lit #10/144

El Calafate : lit #10/144

Nous avons tout quitté pour ce périple, tout. Notre appartement sur Paris qui était formidable et que nous avions recherché pendant des mois, nos emplois, qu’ils nous plaisent ou non, nos économies, nous avons revendu des biens pour nous financer, emprunté de l’argent… Je ne crois pas que je voudrais reprendre la même vie qu’avant, mais les impératifs de la vie quotidienne nous rattraperont à un moment ou à un autre, alors il faudra bien aller de l’avant et construire des projets à long terme, et s’y tenir pour ne pas sombrer dans la tyrannie du morne quotidien aux jours qui se succèdent sans répit.

Ouistreham est en vue, et bientôt nous sommes à quelques centimètres des quais.

Ouistreham en vue

Ouistreham en vue

Le ferry commence à descendre le pont pour que nous puissions débarquer, ce que nous faisons, sacs à dos sur les épaules, et rejoindre Lou Ann sur le quai, notre filleule que nous aimons tant, qui nous manque terriblement et que nous n’avons pas vu depuis un an, et qui a dû tellement grandir, et dans quelques semaines revoir ma grand-mère, nos parents, frères et soeurs, nos amis! Préparez-vous au choc! Cinq, quatre, trois, deux un… Et après? C’est la question qui me revient chaque matin. Pas de logement, pas de travail, pas d’argent… Plus de repères ou de certitudes autres que celle que nous avons vécu des moments extraordinaires, qu’une page se tourne. Et après…?

L’avenir s’offre à nous.

Une nouvelle aventure commence ici, et maintenant.

 

 

 

 

 

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déjà 6 commentaire, réagissez à ceux ci ou commentez vous aussi à “Et après…?”

  1. Chnonis dit :

    « Plus de repères ou de certitudes autres que celle que nous avons vécu des moments extraordinaires, qu’une page se tourne. Et après…? »
    Je vous dirais au contraire… « Plein de nouveaux repères… Ceux qui vous feront différents des autres… Cette vision des choses que vous avez apprise des mondes par lesquels vous avez transités… et qui, à partir d’aujourd’hui, vous fera différant des autres europeéns… Plus ouverts, plus grands… »
    Une page se tourne dans votre vie… C’est évident… Et les premiers moments no seront pas faciles… et seront des moments où la nostalgie du vécu blessera vos coeurs pour un temps encore…
    Et puis vous retrouverez un comment vivre la Vie… Plus forts que jamais… riches d’une expérience unique… qui vous fera rayonner auprès de vos proches… de vos amis… des nouvelles personnes qui vous rencontreront… et de vos enfants le jour venu…
    Ne doutez en aucun moment que votre vie de demain sera une grande réussite… quoique vous entrepreniez…

    Nous vous avons connus, Blas et moi, aux confins d’un monde perdu… sur une île isolée de tout… Rapa Nui… Vous aviez l’entousiasme des jeunes explorateurs d’aujord’hui…
    Nous vous avons retrouvé avec joie chez nous sur les bords du Titicaca… vous rayonniez déjà de cette allégrie et de ce desir de tout connaître qui est votre marque de fabrique…
    Nous vous avons suivis dans votre découverte passionnée de nouveaux horizons…
    Nous vous apprécions beaucoup… et sommes à vos côtés aujoud’hui… et demain aussi…
    Un fuerte abrazo a los dos…

    • ¿ Cómo olvidar nuestro viaje en el castillo del Titicaca? ¿ Cómo olvidar la Isla de Pascua? ¿ Cómo olvidar Christian y Blas ?
      Ce petit mot nous réchauffe le cœur ; on repense à notre séjour sur les bords du lac, avec cette lumière toujours aussi incroyable… Je me rappelle à quel point j’ai été étonnée et émerveillée par cette région. Merci encore pour votre accueil. Nous tâcherons de ne pas changer, même en rentrant et de garder ces yeux nouveaux, héritage de notre aventure, et de ce désir de découvrir le monde.

      ¡ Hasta pronto !
      En el castillo del Titicaca !

  2. Jacky et francine dit :

    A lire le commentaire de votre ami du bout du monde vivant sur les bords du lac titicaca que dire de plus que nous partageons pleinement…votre vie n’en sera que plus riche et déja nous connaissons les désirs de vos nouveaux projets ….Good look !

    Jacky et Francine

  3. sandrine dit :

    Si vous avez été capables de construire et vivre un tour du monde, vous serez sans aucun doute capables de construire et vivre une nouvelle vie…
    Les 2 nécessitent du courage, de la volonté, un peu de folie surement et surtout le goût pour l’aventure.
    Vous avez choisi de vivre une vie pleine de rebondissements, de risques, de découvertes alors….préparer maintenant votre quotidien de la même manière que vous avez abordé votre TDM : foncez dans vos futurs projets !!!! ( et vos futurs voyages, indissociables à votre nouvelle vie…)

  4. […] 1287 kilomètres en bateau sans compter notre retour en ferry de Portsmouth à Ouistreham, pour un total de 82 heures en mer, lac, fleuves et […]

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