Une France et demie plus bas

Il faisait froid ce matin là dans la gare (routière, de toute façon il n’y a pas de train) de Rio Gallegos, à quelques encablures de l’Atlantique, à cinq heures de bus d’Ushuaïa au sud (où, je le rappelle, nous n’irons pas) et d’El Calafate, plein ouest. La nuit de bus depuis la péninsule Valdès (départ officiel à treize heures, mais en réalité il n’arrivera qu’à quinze heures trente, arrivée prévue à six, mais nous avions deux heures de retard…) a été courte, et fraiche : le bus que nous avions n’était visiblement pas dans un super état, entre la vitre avant fendue (et réparée à coup de scotch, ce qui est assez bruyant en cas de vent), des aérations bouchées au papier journal (et donc crachant de l’air frais en continu) et un rideau cassé (le jour, on brûle au soleil, la nuit on a froid et on est éclairés par les véhicules en contre-sens). D’accord, il faut bien reconnaître que l’idée de se mettre tout à l’avant du pont supérieur du bus peut paraitre séduisante, seulement, sur dix-sept heures de trajet, la steppe, sans autre ornement, finit par être répétitive, et la place finalement inconfortable.

 

Le bus, en haut. Pas la place idéale

Un couple de français (faute d’avoir obtenu leurs prénoms, nous les appellerons « les Français »), rencontrés la veille au terminal de bus de Puerto Madryn, ont eu la réflexion qu’en bas (classe affaire), ils dormiraient mieux (ce qui a priori a été le cas, enfin d’après eux). Nous voici donc à Rio Gallegos, et si eux ont un billet de continuation pour El Calafate, nous n’en avons pas. Je file en acheter, sans trop regarder à la dépense : je veux arriver au plus vite ; Élodie me le reprochera avec raison : j’aurais du comparer les prix pour faire des économies. Nous embarquons dans le même bus que les Français mais les places sont inversées : eux en haut, nous en bas. Il fait encore plus froid, le chauffeur voulant sans doute prouver qu’il est un homme qui ne craint pas le froid (ou il a oublié de couper la clim’, au choix). On arrive, après cinq éprouvantes heures dans un congélateur sur roues (mais confortable!) et deux très très longs contrôles routiers aux sorties et entrées de villes, dans le village d’El Calafate.

 

El Calafate

A Calafate, il fait froid – aussi – mais les sacs à dos associés aux pentes et parkas ont vite fait de nous réchauffer. Les Français nous ont quittés, allant de leur côté, mais, en posant mon sac à dos dans la chambre pour regarder la vue depuis l’auberge, je les aperçoit entrer… dans l’hôtel d’en face.
Le jour suivant nous servira de préparation et récupération. Après un tour exhaustif des agences locales (en fait, je laisse surtout Élodie parler, je ne suis pas très à l’aise avec la langue) pour nous renseigner sur les prix des bus pour le glacier Perito Moreno (nous nous rendons vite compte que l’entente sur les prix est une pratique répandue), nous envisageons l’option location de voiture, que nous ne prendrons finalement pas, la faute à un temps trop instable.

La rue principale

Les courses faites (des pâtes et autres ingrédients de base, il est difficile de faire de la cuisine élaborée dans les cuisines des auberges, souvent surpeuplées et mal équipées), nous rentrons… pour cuisiner et manger. Dans la pièce commune, nous nous trouvons une table esseulée, entre une famille d’Anglais et deux gigantesques et bruyants Argentins se préparant un asado. Un Italien (pour la commodité de nos histoires, ça sera son nom par la suite), une table plus loin, Quilmès (la bière nationale) à la main, les rejoindra, afin de découvrir la préparation de leur repas (pour notre part, nous observons d’un peu plus loin) et prendre des renseignements sur les meilleurs trajets à faire pour optimiser son voyage, car lui, contrairement à nous, peut tenir facilement une longue conversation dans la langue de Cervantès (j’en suis jaloux…).
Huit heures le lendemain. Après avoir couru comme un fou après un bus de la compagnie que nous avons élu pour nous transporter, persuadé que nous allions le manquer (le chauffeur, lui, ne manquera pas de pointer le bon bus, toujours à quai, en me disant sur un ton mi-amusé, mi-agacé « Aca » (« ici » pour les Argentins et non « aqui ») sous le regard franchement amusé des passagers), nous embarquons pour le point d’intérêt majeur de la région. Au début du trajet, je peste car nous sommes à gauche dans le bus, et tous les points de vues (film et photo) se trouvent de l’autre côté, vers les sommets enneigés. Patientons, donc. Après une cinquantaine de minutes, et au profit d’un long virage, je commence à photographier les montagnes juste devant nous, avant de lâcher un pu** de b** de m** (la décence m’oblige à l’autocensure). Au loin est apparu, entre deux flancs de montagnes, une titanesque surface blanche, hérissée de pics, qui ont pour effet d’hérisser les poils de nos bras d’un frisson d’émotion.
Le glacier Perito Moreno.

Le glacier Perito Moreno

Pour des raisons de commodité, nous commencerons par nous en approcher au plus près en bateau : vu du lac, que le glacier a formé au cours de ses fontes continuelles et qui constitue son extrémité, le Perito Moreno est impressionnant : un véritable mur de glace compacte de soixante mètres de haut, qui donne à chaque fragment de glace qui en tombe le volume d’un iceberg dangereux.

Un des bateaux naviguant sur le lac

Un Iceberg

Ce qui stupéfie, au delà de sa taille, et bien sa couleur : de loin blanc, il se pare d’un grand nombre de tonalités de bleus, par touches subtilement agencées, l’eau ayant quant à elle un aspect vert-gris laiteux. On se demande comment la nature s’y prend pour nous offrir un tel spectacle! Le capitaine du bateau nous autorise à nous aventurer sur le pont supérieur. nous nous y précipitons, vite rejoint par la famille d’Anglais, alors que le matin même ils ne semblaient absolument pas prêts à partir lorsque nous le faisions! L’air est frais sur le pont, mais la vue est encore plus belle. On se trouve à deux ou trois cent mètres du glacier, et on ne s’en rapprochera pas plus. nous pouvons l’observer sous tous les angles, pendant une vingtaine de minutes.

Élodie filmant le glacier depuis le bateau


Quelques instants après l’accostage du retour, nous voici déjà engagés sur les plateformes de la rive faisant face au glacier.D’en haut, tout est différent : l’air, jusqu’alors frais, se réchauffe très vite, entre le soleil au firmament et l’abri fourni par les arbres ; la vue, domine le glacier, et permet de l’embrasser en entier d’un seul coup d’oeil (cinq kilomètres de large sur trente de long tout de même!).

le glacier Perito Moreno dans toute sa taille

Une rafale de clichés photographiques plus tard, nous choisissons l’ordre des passerelles que nous allons parcourir (des circuits, à diverses hauteurs offrant des vu « variées » (si l’on peut dire) tout le long du glaçon millénaire, ont été ajoutées pour les promeneurs que nous sommes).


Nous descendons vite sur la terrasse la plus basse, centrale et proche, autant que possible. En chemin, cependant, nous nous arrêtons brusquement : une forte déflagration se fait entendre au loin, croisement entre un coup de tonnerre, un feu d’artifice et une caisse très lourde qu’on aurait lâché de haut dans un entrepôt vide. Bref, fort mais presque indescriptible. Continuant notre chemin, plus prudemment cependant, nous arrivons à destination, au plus bas. Sur le glacier, j’aperçois les trekkers arpentant la glace, une des expéditions proposées (pour un prix exorbitant) dans les agences visitées la veille, et dans laquelle se sont lancés les Français. Appareil photo micro et caméra en mains, nous profitons de ce spectacle qui, s’il n’est pas le plus vivant de tous ( Valdès ou les chutes d’Iguazù sont plus filmogéniques) n’en est pas moins admirable.

Pics du glacier

Élodie, découvrant au loin le bateau dans lequel nous étions peu avant, le cadre pour le filmer. depuis que nous sommes appuyés sur la rembarde, quelques explosions ont fait éclats. Soudain, elle me dit : « Regarde! Incroyable! ». Ayant à peine le temps de me retourner, un bruit tonitruant résonne partout : un formidable bloc de glace, de plusieurs mètres de haut, s’est décroché de la paroi, créant une gigantesque  vague autour de lui!
La voici donc l’explication de tous ces sons! toute la journée, des blocs de tailles diverses (entre la taille d’une voiture et d’un camion) se décrochent du mur pour s’écraser dans le lac, parfois plusieurs dizaines de mètres plus bas! Ajoutons à cela la pression constante du glacier sur lui-même (il avance de deux mètres par jour!), l’érosion due à l’eau fondue et du soleil, vous obtenez un glacier « sons et lumières »! un spectacle qu’on vous souhaite de voir… mais ça ne sera pas grâce à nous! Élodie, quelques minutes après, se rendra compte que la caméra était encore sur « pause », car elle choisissait encore le cadre lors de la chute du bloc et n’avait pas lancé l’enregistrement! Tout ce qu’il nous reste sont quelques photos prises sur le vif…

Après notre repas, nous partons à la recherche de calme et de frais – il a fini par faire chaud – et au détour d’un escalier, nous croisons les Argentins, eux pressés de descendre (il viennent d’arriver) et nous de trouver de l’ombre. Nous nous contenterons d’un « ¡Ola! » enjoué. La ballade continue et nous multiplions les points de vues et clichés. le glacier est définitivement fascinant : au fur et à mesure de la journée les couleurs changent, le blanc et le bleu se font plus intenses, l’eau s’éclaircissant en conservant son opacité.

Au loin, les randonneurs sur glacier n’ont pas bougé d’un iota ; je me saisis des jumelles : se sont… des blocs de pics de glaces parfaitement alignés! Quelle andouille je fais!
Nous remontons finalement au bus qui doit nous ramener à Calafate, la tête de nouveau remplie d’images et de souvenirs impérissables. Le glacier vaut-il ses vingt-deux heures de bus non stop de Puerto Madryn à El Calafate? Définitivement oui! Devant cette machine à remonter le temps géante et froide, encore une fois nous sommes si petits. Nous sommes petits mais en cet après-midi ensoleillé, nous avons chaud, ce qui est un comble devant tant de glace!

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déjà 5 commentaire, réagissez à ceux ci ou commentez vous aussi à “Une France et demie plus bas”

  1. Defi dit :

    Coucou les Chéris voyageurs votre article sur le glacier est très intéressant et les photos sont superbes.
    Nous avons reçu votre carte avant qu’Eliane parte en Chine ,merci
    Gros bisous et bonne route
    M.Claire

  2. […] veille, nous avions croisé le chemin des Français (souvenez-vous), revenant de randonnée qui nous avaient vendu « une promenade toute plate, tout le […]

  3. tati dit :

    De normandie je profite de l’ordi pour vous découvrir dans un décor naturel exceptionnel que seul la nature peut vous offrir , glaciers, pics enneigés , randonnées pleine de fatigues ennivrantes …veinards ! mais l’aventure vous est tellement méritée…elle sourit aux audacieux ….

    Bisous de tous les normands

  4. […] nuit tombe alors que nous faisons escale à Perito Moreno (une ville très éloignée du glacier éponyme) pour laisser s’échapper une grosse partie des passagers, qui ont choisi cette étape pour […]

  5. […] depuis mon départ ? Hum, question difficile. J’ai répondu par tout un tas de choses : le glacier Perito Moreno en Patagonie, l’île de Pâques, le Sud Lipez en Bolivie, la rencontre avec les tortues à […]

Répondre à tati

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