Portraits Birmans

C’est par les chants de la cérémonie des prières du monastère d’à côté que nous nous réveillerons ce matin là. La nuit a été courte. Fabien a ouvert les yeux dès l’aurore lorsque les moines ont commencé à réciter leurs textes et moi, j’ai vomi au beau milieu de la nuit. Un ananas n’était pas passé. Rien de bien grave car nous nous lèverons en pleine forme et prêts à avancer jusqu’au bout du monde.
Notre guide arrivera en avance, le sourire jusqu’aux oreilles. Il n’a qu’un petit sac sur le dos, un bonnet sur la tête et un coupe vent pour se protéger du froid matinal ; alors que mon sac à dos doit peser sept kilos. Et le gros sac de Fabien, reconverti pour l’occasion en sac de randonnée – sa vocation initiale – contient vêtements de nuit, vêtements thermiques, polaires, trousse de secours et sacs de couchage. Pour finir notre séjour au Myanmar, nous avons souhaité partir en trek de deux jours (grande première dans ce voyage !), cela fait longtemps qu’on en rêve, afin de sortir des sentiers battus. Sortir des sentiers battus dans ce pays demande plus de travail qu’auparavant. Le circuit de randonnée « incontournable » Kalaw – Inle est désormais surexploité. Il sort de presque toutes les bouches des voyageurs rencontrés, à tel point que cela nous donne envie de vomir (j’insiste, c’est l’ananas qui n’est pas passé). Nous aimons les birmans et c’est seuls que nous aimerions les rencontrer.

Choisir un trek à partir d’Inle plutôt que Kalaw pour nous enfoncer dans le plateau de la minorité Shan dans les montagnes fut une bonne idée. Nous ne serons que tous les deux avec notre guide, de son nom : Saw Win Thiha, un privilège. Revers de la médaille : il nous en coutera 20$ par personne et par jour, une fortune ici. Le pays a augmenté ses prix face à l’arrivée du tourisme (surtout, il n’arrive pas à gérer la trop grande affluence touristique). Nous tenions cependant à ce trek, alors c’est parti !

Trek Inle de deux jours

Saw Win s’avéra être un un sacré gaillard, plein d’énergie et surtout il a ce caractère typiquement birman que l’on aime bien : il est bavard. Très vite, nous faisons connaissance et chacun connaîtra la vie de l’autre. Saw Win est guide depuis environ dix ans et presque tous les jours il part marcher dans les alentours du lac. Une première fois, il fait le circuit Kalaw – Inle puis il enchaine avec celui d’Inle vers les montagnes de l’Est (il avouera aussi que cette partie est sa préférée). Pendant la haute saison touristique il part une fois par semaine, soit six jours de randonnée, et ne passe que deux soirées avec sa famille. Le reste de l’année, il ne part que deux fois par mois et profite de sa femme et de son fils de deux ans. Durant ces longs mois sans réel emploi, il cherche à cumuler les petits boulots, dans l’hôtellerie par exemple. Mais il semble bien plus préoccupé à passer tout son temps avec les gens qu’il aime et qu’il voit peu pendant quatre mois, et il a raison.

Saw Win n’a pas toujours été guide, il a consacré quatre ans de sa vie à prier et à réciter les enseignements de Bouddha. Quatre ans de vie monastique qu’il évoquera avec un beau sourire. Son choix d’être moine, pleinement assumé, lui apportera des qualités chères : douceur, respect, humilité, générosité et cette faculté que certains hommes ont perdus, admirer le paysage immobile et se ressourcer en écoutant le silence.

Dès la première heure de marche, nous nous éloignerons du centre de la ville pour nous enfoncer dans des coins que nous n’avions jamais vu. Le visage des gens change progressivement à mesure que l’on avance, il devient plus amical. Puis, enfin, nous quittons la route pour prendre un petit sentier en terre qui ne nous quittera plus pendant deux jours. Nous voilà entourés de champs et de divers arbres fruitiers. Le paysage est sec en ces temps de post-mousson et d’ailleurs nos vêtements le ressentent, une couche de poussière maronnasse commence à recouvrir le bas des jambes.

De l'eau pour tout le monde au Myanmar !

Vases régulièrement rencontrés sur notre chemin dans tout le pays

Nous ferons une halte de quelques minutes sous un arbre. Une sorte de cabane surélevée en bois a été aménagée. Elle recueille en son centre un gros vase en terre cuite recouvert d’une assiette métallique avec par dessus un gobelet en plastique renversé. J’avais déjà vu ça plusieurs fois depuis notre arrivée au Myanmar, même dans les villes. Saw Win nous expliquera que dans son pays, les habitants mettent à disposition gracieusement de l’eau préalablement bouillie (donc potable) pour tout ceux qui auraient soif. Après ces paroles, il plongera dans le vase le gobelet fourni et le ressortira avec de l’eau claire à raz bord. « Hum, ça fait du bien ». Ce pays est plein de surprises. Vous ai-je déjà raconté que le Myanmar est l’un des rares pays où chaque matin les moines reçoivent encore de la nourriture dans leur bol et ne survivent que grâce à ça ? (au Cambodge et en Thaïlande, c’est désormais l’argent qui a remplacé la soupe et le riz offert par la population aux monastères). Je souris depuis, à chaque fois que je passe devant ces énormes vases remplis d’eau offerte par la population pour la population, celle qui serait un jour dans le besoin. Les birmans sont des gens bons.

La suite de notre marche nous mènera a une petite école de village des montagnes. Les enfants ont entre quatre et dix ans, tous réunis dans la même pièce, mais divisée, elle, par trois tableaux pour créer trois catégories d’apprentissage. L’école est obligatoire jusqu’à onze ans au Myanmar, incroyable ? Et l’anglais est introduit dans les programmes dès la maternelle au même titre que la grammaire. Notre ami fut surpris d’apprendre qu’en France notre génération n’a commencé qu’à onze ans.

Petite école d'un village près d'Inle
A notre passage, les p’tits loups seront particulièrement déstabilisés. La maîtresse, elle, tentera de continuer ses leçons malgré que les deux-tiers de ses élèves fixent les deux étrangers derrière la fenêtre et se battent pour avoir un maximum de coucou de leur part.

Écoliers birmans

La suite de notre journée nous conduira toujours plus haut ! Nous monterons sans cesse sur les hauteurs, de col en col et la vue se dégagera progressivement. Sur notre chemin, nous rencontrerons quelques habitants des montagnes, venus travailler pour la journée dans leurs champs.

Femmes dans les champs

Sur notre chemin

Dans les montagnes du plateau shan

Plateau Shan

Un peu de solitude en pleine campagne, ça fait du bien...

Le plateau Shan s’avére être très agricole. On fait pousser de tout : oignon, ail, chou fleur, pomme de terre, blé, avocat, orange, papaye et j’en passe. Nous sommes surpris de découvrir une terre aussi fertile et riche en produits de consommation. Et cela nous ravis ! Depuis que nous sommes arrivés dans ce pays, le pain de mie a été réintroduit dans nos assiettes, les nouilles de blé complet sont appréciées autant que le riz et la profusion de légumes ou de fruits que l’on a l’habitude de consommer chez nous est réconfortante (lentilles, courges, pomme, orange-orange… car l’orange en Asie est verte !). D’ailleurs, une campagne rigolote circule dans les écoles : pour votre santé, mangez cinq fruits et légumes par jour. Peut-être devrait-on nous en inspirer en France ?

Un papayer

Savez-vous à quoi ressemble un papayer ?

Pousse de soja

Et du soja ?

Nous traversons de beaux paysages vallonnés, recouverts de champs, aux différentes couleurs. Nous découvrons alors la triste réalité. Comment se fait-il que ce pays aussi riche (qui l’aurait cru ?) soit finalement resté aussi pauvre à cause d’un gouvernement peu décidé à aider sa population (pardonnez moi ces termes mais je crois que je peux).

Une mauvaise répartition des richesses nous saute aux yeux depuis quelques temps. En effet, le Myanmar possède les plus grosses pierres précieuses au monde, un sol particulièrement fertile – mentionnons que ce pays a été le premier exportateur mondial de riz il y a soixante ans . Le Myanmar a, de plus, la chance d’avoir une des réserves en teck, ce bois qui ne pourrit pas, la plus importante et il possède en quantité plus qu’honorable des minerais, d’argent, d’or… et quoi ??! Voilà ce qu’est devenu le Myanmar ?!…

Trek au lac d'Inle dans un champ de blé

Paysage vallonné du plateau shan

Saw Win nous guidera à travers les immenses plantations de feuilles à cigares, une des principales sources de revenus des villages installés dans cette partie de la montagne. Une fois la récolte passée, la feuille séchée et empaquetée, les villageois descendent aux villes principales autour du lac afin de les vendre sur les marchés. Un quotidien qui nous laisse admiratif car ces gens doivent effectuer le trajet que nous sommes en train de faire en tant que trek, soit six ou dix heures de marches à pied, parfois sous un soleil brulant.

Champs de cigare

Des arbres à feuille de cigare !

Villageois des montagnes en marche pour vendre leur bois sur les marchés du lac

Villageois des montagnes en marche pour vendre leur bois sur les marchés du lac

Les haltes dans les villages seront les bienvenues. Le midi nous seront invité par une jeune famille dans leur maison tout de bambou construite. Seul le plafond est en taule, ici noble matière qui protège de la pluie. La maison est des plus sommaire : trois petites pièces, chacune de cinq mètre carré (S ou pas S, Fanny ?), une pour la cuisine, une pour le séjour et une pour faire dormir toute la famille. Il n’y a qu’un seul meuble, celui qui abrite une télé qui ne doit pas être allumée tous les jours. Le reste de la vie se passe à terre sur des nattes de bambou tressées. Cependant aujourd’hui, la famille nous a réservé une table vernie pour enfant, qui ne doit pas servir elle non plus tous les jours. Il est midi, il fait bon et le lieu calme invite à une sieste à terre. Mais la vue sur les (trop) nombreux trous dans les parois de bambou nous mènent à penser qu’il ne doit pas vraiment faire chaud la nuit ici. Et c’était peu dire…

Village du plateau shan

Le premier village rencontré (nous n'en croiserons que trois en deux jours)

Maison birmane

Pause dans cette maison typique du Myanmar

Chez l'habitant

Déjeuner chez l'habitant

Deux heures trente de marche après le déjeuner, nous arrivons dans un second village pour passer la nuit. Nous serons accueillis dans une belle maison tout en bois, construite sûrement par le chef de famille. Une grand-mère nous conduit dans la pièce principale et nous fait signe de poser nos sacs à terre. On comprend que ce sera notre salon-salle à manger-chambre pour ce soir. Nous étions prévenus, nous n’aurons pas de lit. Une natte en bambou tressée est posée sur le sol et deux couvertures de laine bien usées seront déposées dessus. Même si la nuit ne promet pas d’être au top du confort, nous sommes satisfaits d’être logés à la même enseigne que la famille. Les birmans ont l’habitude de dormir sur le sol, pourquoi pas nous ?

Nous faisons un rapide tour des lieux. Il y a quatre pièces cette fois-ci, une cuisine, un salon et deux chambres. La famille n’est pas encore au complet, seule la mamie est présente pour le moment. Elle s’affaire déjà en cuisine alors qu’il n’est que 16h30. Elle sera ensuite rejointe par deux enfants puis une jeune femme vers 17h. Nous jouerons en début de soirée avec le plus jeune. Il s’amusera à tirer avec son faux revolver sur Fabien, qui lui, s’écroulera au sol. Bah, oui ! Touché, t’es mort !

En cuisine

Préparation du dîner dès notre arrivée

Cuisine
Le soleil se couchera progressivement et plongera les pièces dans le noir. Il n’y a pas d’électricité dans le village. Seul un petit panneau solaire fourni suffisamment d’énergie pour allumer un néon dans la cuisine et dans le salon durant trois heures. Mais il est encore trop tôt pour l’utiliser. Nous sortons notre équipement, le jeune garçon sera émerveillé par notre lampe dynamo et surtout son mode « SOS ».
Nous passerons ensuite à table, assis sur le sol en tailleur, nous dans notre pièce et eux dans la cuisine (il ne faut pas se vexer, chez eux, c’est ainsi). Le repas sera gargantuesque ! Impossible de tout finir. Au menu : soupe de lentille, riz, poulet frit (en petite quantité), légumes sautés, pomme de terre frites et tofu. Les habitants des plateaux, à défaut d’avoir de la viande ou du poisson à tous les repas, mangent beaucoup de légumes et de légumineux. Je suis aux anges, enfin une compensation à tout ce riz ! (bah oui, on parle toujours de la tourista à l’étranger mais cela fait des mois que j’ai dépassé ce stade). Fabien s’amuse à dire « On sait pourquoi ils ont les yeux bridés ces asiatiques !… Trop de riz à tous les repas ». Je vous laisse imaginer le tableau.

Bonne appétit !
Une fois les assiettes finies, nous serons invité à passer le reste de la soirée en famille.
Etait-ce pour ne pas montrer que leurs assiettes n’étaient pas bien rempli que nous n’avons pas mangé ensemble ? Nous ne sommes pas dupes, ce soir on a mangé l’équivalent de deux repas pour toute une famille. Nous les remercions chaudement.

Nos hôtes pour une nuit dans les montagnes shan

En compagnie du papa et de la maman

La suite sera paisible, en cercle autour du feu, assis par terre. Nous nous réchauffons. Saw Win fera l’interprète pour que l’on puisse faire connaissance. Il y a cinq membres dans la famille : le mari, la femme, la maman de Monsieur – donc la Mamie, d’où la quatrième pièce – et leurs deux enfants. Au Myanmar, les personnes âgées vivent chez leur enfants, bien souvent chez la fille (ici ce n’est pas le cas). C’est pourquoi l’arrivée d’une petite fille plutôt qu’un petit garçon dans une famille est accueillie avec autant de bonheur que si cela avait été un petit bonhomme.

Le papa a l’air d’être un homme gentil. Il a un regard attachant. Il sait qu’il nous propose un hébergement spartiate et cela le touche que l’on fasse l’effort de venir les rencontrer eux, ces gens des montagnes, dans leur maison. Ce monsieur n’a pas l’air d’avoir une vie facile. Toute la journée, de l’aube au crépuscule, il travaille dans les champs avec sa femme. Et je ne crois pas que ce soit une partie de plaisir. Les champs sont loin, difficilement accessibles et cultivés à flanc de colline. Qu’il fasse beau, chaud ou froid, il faut y aller, c’est une question de survie.
Leur principale activité est la culture de feuille de cigare qu’ils vont vendre à Inle. Les grosses cernes sous les yeux du père trahissent sa fatigue malgré tout l’effort qu’il fait ce soir pour ne laisser transparaître que sa curiosité envers ses visiteurs étrangers. Fatigue morale peut-être aussi ? Nous apprenons qu’ils dépendant totalement de la météo : leur réserve d’eau pour les mois à venir ne tient qu’à la quantité d’eau tombée pendant la mousson. Il ne doit pas y avoir de source suffisamment proche et l’eau en bouteille serait trop cher. Aucune douche ce soir, pour personne. De toute façon, les birmans la prennent souvent froide, sortie tout droit d’un petit filet d’eau d’une rivière et dans le village où nous nous trouvons ce soir, l’eau aurait été certainement glacée. De la buée sort de nos bouche et nous avons déjà enfilé T-shirt thermiques et polaires pour nous tenir chaud. Nos voisins n’ont eux qu’une paire de tong et un simple petit pull par dessus leur longyi. La grand-mère s’affaire à entretenir le feu. Elle ne dira rien mais me fixera. Elle m’observera avec ses grands yeux en souriant. Je lis dans son regard une joie infinie, ô combien touchante… ! C’est qu’elle a vécu beaucoup de chose cette vieille dame… Je peine à imaginer sa vie. L’histoire du Myanmar est chaotique. L’ethnie de cette dame n’a pas toujours été en accord avec l’ethnie principale, les bamars. Et ce, même jusqu’à récemment.

Au lit !

Pour se coucher, il n'y plus qu'à enlever la table et déposer des couvertures.

Il est 21h, nous nous souhaitons bonne nuit. Le jeune garçon, quatre ans, s’est endormi dans les bras de sa maman et la plus grande, huit ans, même si elle se force à garder les yeux ouverts pour faire bonne figure, baille toutes les minutes. On nous apprend qu’elle travaille beaucoup à l’école et qu’elle souhaite faire de grandes études. Mais que du coup, elle manque de sommeil. Je la regarde avec tendresse. Il est difficile d’accepter que son enfance ne soit pas la même que nos petits écoliers français. C’est pourtant la même gamine avec les mêmes envies. Son programme est chargée, nous n’arriverons pas à discuter avec elle pendant notre séjour. Nous nous demandons même s’il lui arrive de jouer un après-midi tout entier. Tous les matins, elle se lève à 6h30 du matin pour prendre son petit déjeuner. Vers 7h30, elle récupère son « bento », une boite métallique remplie de nourriture fraîchement préparée par sa maman pour son déjeuner. Puis elle se dirige vers l’école… qui n’est pas à côté. A 17h, après les cours, elle revient à la maison et aide sa maman à récupérer du bois en quantité suffisante pour entretenir le feu qui lui, servira à réchauffer mais surtout à cuisiner. Nous observons cette jeune fille participer aux tâches ménagères sans broncher. Elle s’occupe beaucoup de son petit frère en plus de tout cela. C’est elle qui lui dira de s’habiller et c’est elle, encore, qui lui déposera le « thanaka » sur les joues. Nous espérons que notre cadeau à son retour de l’école lui fera plaisir.
Pour le plus petit, nous savons que oui : des crayons de couleurs et du papier blanc. Si vous aviez pu voir la joie de cet enfant lorsqu’il nous lui avons fait comprendre que c’était un cadeau pour lui ! Cela nous trouble encore. Nos enfants sont gâtés en France. Arriveriez-vous à émerveiller un gamin avec deux feuilles de papier blanc et un crayon rouge ?

Enfant birman

Nous offrirons aussi trois brosses à dents à la maman. Fabien me rapportera plus tard qu’elle s’était empressée de montrer notre cadeau à son mari.
Nous repartirons de cette famille profondément touchés. Témoin d’une leçon de vie inoubliable, ces visages d’anges nous marqueront pour longtemps.

Le coucher de soleil avec notre ami aussi. Saw Win nous conduira en haut d’un col avec vue imprenable sur la région. Nous sommes seuls, la Terre entière nous appartient et le lac Inle s’étale à nos pieds. Merci Saw Win. Merci à tous ces birmans qui nous ont accueillis. Notre séjour dans ce pays a pris fin depuis presque un mois et l’envie de parler d’eux, rien qu’un peu, nous vient. Le Myanmar ne serait rien sans ses habitants.

Coucher de soleil dans les montagnes shan

Coucher de soleil, seule avec soi même

Coucher de soleil Inle

Notre guide pendant le trek d'Inle

Saw Win, notre guide

La première chose qui frappe dans ce pays, c’est le sourire, même dans les villes principales. Bien que nous l’ayons déjà  rencontré dans d’autres pays, celui-ci est unique, rempli de douceur et de sincérité. Il n’est pas systématique, ne vous attendez pas à un sourire à tout bout de champ ni à des « oh mon ami bienvenu » à chaque coin de rue. Mais lorsque vous en obtenez un, vous êtes conquis. Notre cocher à Bagan le possédait. Qu’est-ce que l’on a pu rire avec lui ! Lui avec sa bouche pleine de bétel, cette petite boule de fruit qui rend les dents rouge sang, calée contre sa joue qui lui donnait un horrible accent. Il a passé près d’une heure à répéter des mots en birmans pour les faire rentrer dans la tête de mon pauvre Fabien… qui notait tout, tout, consciencieusement. La vie de cet homme ne le prédestinait pourtant pas à avoir un aussi large sourire. Notre cocher était papa de cinq enfants dont un qui est déjà parti faire sa vie. « Plus que quatre ! » rit-il. Il est veuf depuis près de dix ans et ne s’est jamais remarié. « Elle avait un cancer » nous dit-il, toujours avec son accent à couper au couteau. Il sourit. Il nous raconte sa vie avec un air détaché, sous l’empreinte d’une « birmanité » comme dirait certains. Cette faculté qu’ont les birmans de se comporter avec subtilité plutôt que de faire des vagues. Selon un proverbe local : « Les mauvaises nouvelles ne durent que sept jours ». Il suffit d’attendre.

Fouette cocher!

C’est toujours à Bagan que nous feront une seconde rencontre surprenante. Nous sommes dans le village de Myinkaba au sud du Vieux Bagan. Au milieu d’un terrain vague, un homme et deux femmes tapent sur d’immenses tiges de bambou. Ayant éveillé notre curiosité, nous nous approchons. L’homme saute immédiatement sur l’occasion. Il ne parle pas très bien anglais et la discussion prend des allures de mimes. Fabien met en application les mots appris avec notre ami cocher, cela surprend notre homme qui redémarre sa conversion au quart de tour mais cette fois en birman. Cet homme tape toute la journée sur des points précis des tiges de bambous afin de les déplier et de les rendre plates. Les deux femmes à ses côtés, elles, tressent les tiges pour en faire des nattes. Ce travail est important. Dans le pays, presque toutes les maisons sont construites en bambou. Nous observons leurs gestes… encore très artisanaux ! L’homme posera pour une photo avec un plaisir étonnant « Ta photo est superbe ! Merci ! ».

Tresser du bambou

Bambou tressé

Le plus surprenant aura lieu deux heures plus tard, à trois kilomètres de là. Nous avons fini notre journée et nos pas nous ont mené à la sortie du Vieux Bagan près du Pahto Ananda, le premier temple visité. Nous sommes à la recherche d’un pick-up collectif pour retourner à notre logement. Nous longeons les maisons de thé. Quand… soudain ! Un homme crie en notre direction.
« Eh ! Vous deux ? »
Nous ne le reconnaissons pas immédiatement.
« Vous vous souvenez de moi ?? Les bambou, la photo ! »
Nous nous réjouissons, il nous questionne.
« Que faites-vous là ? Vous avez marché tout ça depuis ?… Venez donc boire un verre avec moi pour commencer dans soirée. Si si ! J’insiste ! Venez boire un verre ».
Nous déclinons avec regret. Il va faire nuit et nous ne savons pas à quel heure part le dernier pick-up et sommes trop loin du village de Nyaung U. Nous remercions, touchés par son invitation.

Tressage du bambou

Rencontre inattendue

Cela fait bientôt un an que nous voyageons. Nous avons fait pas mal de rencontre, certaines qui marqueront plus que d’autres (j’ai déjà quelques noms qui me reviennent en tête et j’espère qu’ils se reconnaîtront). Le Myanmar aura été le premier pays où des habitants, de parfait inconnus rencontrés dans la rue, nous invitent aussi spontanément à nous joindre à eux pour boire un verre. Enfin, Monsieur… volontiers bien sur ! Mais on ne se connaît pas ?

Les birmans aiment parler avec les étrangers et le font sentir. Les conversations sont souvent bon enfant. On parle du beau temps, de la famille, du football ou de Bouddha. Puis la personne vous remerciera… de l’avoir écouté. Beaucoup de birmans ne comprennent pas l’intérêt d’employer « dix mots quand on peu en utiliser mille » (Peter Olszeuski).
Un seul sujet sera très peu abordé, cela doit être leur « birmanité » : celle de la situation de leur pays. Il faudrait sans doute plus que sept jours pour oublier les évènements qui ont choqué à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Nos médias français nous le rappellent assez souvent, la situation parait tendue. Mais une fois sur place, nous nous apercevront vite que le quotidien de ces gens reprend ses droits : discuter, manger du curry, boire un thé, élever ses enfants et se rendre au temple. Les birmans ont un regard détaché sur la pauvreté et la corruption. Seul notre dernier chauffeur de trishaw à Mandalay, un jeune homme vraiment super sympa qui nous aura tenu la causette (bien évidemment !), évoquera en une seule phrase la situation politique de son pays : « Avant, mon pays était gouverné par des militaires… (silence) Maintenant, les choses vont changer ».

En Avril 2012, le parti de Aung San Suu Ky a réussi à obtenir la quasi totalité des 45 sièges des élection partielles, ce qui fait de la « Ligue Nationale pour la Démocratie » (NLD) le nouveau parti majoritaire du pays. Les choses bougent, et oui. Avant notre départ en tour du monde, le Myanmar était encore un pays isolé, aux informations filtrées, victime de l’embargo américain et du boycott du reste du monde. Aujourd’hui les distributeur Visa et MasterCard s’installent progressivement sur les trottoirs et le tourisme arrive à grand pas.

Le Myanmar était-il prêt à ce phénomène si rapide ? Pas si sûr.
Les choses évoluent, vite, et en bien à priori pour ces gens. Ce pays qui aurait dû être riche se remet progressivement de ses difficultés et les habitants accueillent avec sourire le tourisme… sourires dans un enthousiasme contrôlé quand même ; le Myanmar reste un des pays les plus pauvres d’Asie et pour certaines régions (interdites au tourisme par le gouvernement), l’ouverture sur le monde n’a que très peu, voir pas, d’impact dans leur quotidien.
Vous vouliez peut-être savoir, en lisant nos écrits sur ce pays, comment ressentons une fois sur place les méfaits d’un gouvernement dictatorial ? Ou peut-être savoir comment les chose évoluent ? Nous n’avons qu’un conseil : allez-y ! Allez voir et faites-vous votre propre opinion. Ils n’attendent que ça, que vous veniez !
Les birmans sont des gens extrêmement touchant. Ce sont des personnes charmantes et à la culture encore peu influencée par le reste du monde. Ils ont un goût pour les arts tout à fait étonnant et ravissant.

Sourire du Myanmar

Toutes ces choses que l’on pourrait dire sur ces gens ! Je pourrais y passer des heures. Nous sommes émus, ravis, enchantés, bousculés… et tout les synonymes qui pourraient aller avec ! Leur authenticité et leur détermination nous ont chamboulé. A tel point que le dernier jour, celui où il a fallu partir du pays, des larmes nous pas pu s’empêcher de couler sur nos joues.

Que dire de plus ? Les mots me manquent.

Ce pays n’est plus le même qu’auparavant (ceux qui l’ont connu ne soyez pas tristes) mais le caractère de ces gens n’a pas changé. Comment ne pas craquer ?

Comme Kipling l’a écrit, le Myanmar est « un pays qui sera différent de tous ceux que tu connais ».

Petite fille birmane au pied d'une paya

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déjà 2 commentaire, réagissez à ceux ci ou commentez vous aussi à “Portraits Birmans”

  1. olivia dit :

    Le hasard fait que dimanche soir il y avait un reportage sur les expatriés en Thaïlande, hier c’était un reportage sur l’Inde et avant hier c’était un reportage sur la Birmanie : « la promesse de l’aube, un nouvel eldorado ? » Votre article avec vos propres mots simples et plein d’émotions ressenties éclaire et illustre parfaitement ce qui s’est passé et ce qui se passe actuellement au Myanmar. L’ouverture de ce « nouveau pays » a qui l’on a défait ses chaines est très lente mais très prometteuse. La dictature a fait tellement de mal à ses habitants si touchants qu’il va leur falloir un peu de temps pour se reconstruire mais déjà un vent de liberté souffle dans leurs regards et de très beaux sourires s’affichent ! Certains Birmans prétendent même que leur pays sera à la tête de l’Asie dans quelques années ! ( J’ai très largement préféré votre article au reportage télévisé plutôt froid, merci de nous avoir fait ressentir et découvrir un peu de Birmanité…

  2. Juju dit :

    Retrouvez chez votre marchand de journaux la collection « Le Tour du Monde d’Elodie & Fabien ».
    Le numéro 1, la figurine de Fabien et son fascicule.
    Le numéro 2, Elodie
    Le numéro 3, Saw Win le guide birman.
    Etc…

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