La nuit, à Yangon

« Ah non, désolé, monsieur, mais votre réservation elle a été annulée.
– Comment ça annulée?
– Vous ne nous avez pas confirmé la chambre, nous avons annulé la réservation!
– Mais si, je l’ai confirmé cette réservation!
– Oui, mais pas dans les vingt-quatre heures!
– Attendez, hier matin, j’ai écrit à votre adresse!
– Oui, mais la chambre que vous aviez réservé n’était pas disponible, alors je vous ai écrit, je vous ai proposé la chambre au tarif supérieur, j’ai attendu, attendu et comme vous ne m’avez pas répondu j’ai annulé.
– Je ne sais pas pour vous, mais je n’ai pas toujours accès à internet quand je le souhaite! A quoi ça sert alors de réserver?
– Il faut confirmer vingt-quatre heure avant monsieur, et comme vous n’avez pas confirmé j’ai annulé votre réservation.
– Et le mail de confirmation, c’était pas une confirmation?
– Si, mais la chambre que vous aviez réservé n’était pas disponible, alors j’ai annulé votre réservation.
– Bon, vous avez des chambres disponibles?
– Non, nous sommes plein.
– Pas une?
– Non monsieur.
Nous sommes face à un mur, de toute façon il faut se rendre à l’évidence, il ne nous lâchera pas de chambre, même pas d’aide malgré la situation dans laquelle il nous met. Nous sommes à la rue. Et c’est la nuit, à Yangon.

A Yangon, la nuit

A Yangon, la nuit (paya Sule)

Reprenons un peu plus tôt – en fait, beaucoup plus tôt – dans la journée. Il est sept heure du matin, nous sommes au pied du Prince Palace à Bangkok et nous disons au-revoir à Thierry et Olivia. La tristesse est au rendez-vous pour chacun de nous – enfin pour Élodie et moi, c’est une certitude (pour l’éternelle sentimentale Olivia aussi, j’en suis certain), car ils retournent aujourd’hui en France. Tristes car c’est pour eux comme pour nous la fin de l’aventure Thaïlandaise. Nous souhaitions les accompagner jusqu’à l’aéroport, mais des billets de banque en « moyen état » nous en ont retenu, qu’il fallait changer pour de plus neufs avant de partir, nous aussi, pour de nouvelles aventures dans un pays mystérieux (enfin, surtout quand nous avons décidé d’y aller, il y a plusieurs années). Direction : le Myanmar (ou Birmanie, bien que ce ne soit plus son nom officiel… vous voyagez toujours en URSS ou en Yougoslavie vous?). A midi, tout est prêt, les valises bouclées, piles achetées, batteries rechargées, argent compté, recompté, vérifié, inspecté, re-vérifié, détaillé et re-re-vérifié (le tout plusieurs fois, oui je suis maniaque).

Money money money, notre calvaire quotidien…

Money money money, notre calvaire quotidien… (oui, sur la table une somme plus que conséquente, pas loin de 2000 US$ en cash à déplacer en permanence sur nous pendant le mois…)

C’est le mois qui m’inquiétait le plus, le pays sur il faut être plus attentif qu’ailleurs : pas de distributeur d’argent, mais pas non plus de service de santé performant (et on ne parle pas des transports aériens…). Direction Bangkok Don Mueang, DMK pour les intimes – c’est la quatrième fois en trois semaines qu’on s’y trouvera, on se trouve donc dans la catégorie « intimes » – pour notre vol Air Asia (qui ne sera presque pas trop en retard…).

Puis nous atterrissons à l’aéroport de Yangon, baigné dans la lueur du soleil couchant. Le bâtiment est neuf, vitré, spacieux. On arrive vite au passage des douanes, où de nombreuses files d’attente sont déjà formées. Devant  nous des Français, derrière, des Français, au loin des Français… On dirait que la moitié des habitants de notre patrie est ici! L’homme devant nous se retourne et nous propose de partager un taxi; pourquoi pas? Vient le moment d’affronter les agents de l’immigration. Je m’attendais à une confrontation froide et procédurière ; c’était sans compter sur le caractère birman, le sourire et le « bienvenue » de cette dernière! Nous allons ensuite récupérer les bagages, passons la douane quand… Noir total dans l’aéroport : panne de courant. Passées quelques secondes, un générateur se met en marche et la vie reprend son cours. Nous rejoignons les Français à l’extérieur, négocions un taxi et partons.

La nuit à Yangon ne ressemble en rien à ce que j’imaginais : des immeubles éclairés par des guirlandes multicolores, des restaurants, des gens qui marchent, qui parlent, qui s’amusent, qui rient. La ville est aussi étonnamment grande et il nous faudra pas loin d’une heure pour la traverser, jusqu’au vieux quartier, la pagode Sule, l’hôtel où nous avons réservé. Les voyageurs qui sont avec nous n’ont pas encore choisi d’hôtel. Mais en entrant… c’est la douche froide. Nous sommes donc à la rue, sans monnaie locale, avec un guide de voyage tellement dépassé qu’aucune indication de prix n’est correcte – pire, entre sa publication il y a deux ans et maintenant, un nouveau billet de cinq mille kyat est apparu! D’autres hôtels et guest-houses sont dans le secteur. On va à la première d’entre elles : pleine ; celle d’à côté : pleine. Et on nous annonce que ça sera le cas dans la très grande majorité des lieux. Un homme, sympa, nous indique une rue avec plus d’hébergements. Et en effet nous en voyons assez vite. Le premier propose des chambres, mais à un prix… soixante quinze dollars par nuit. Le second ne prend même pas la peine de nous ouvrir, pas plus que le troisième. Entre-temps, nous avons été rejoint par un couple d’allemands dans une situation identique à la notre. L’ouverture du Myanmar au tourisme ne se fait pas sans douleur… Nous continuons la chasse aux logements à quatre, et nous trouvons une maison d’hôte, mais au quatrième étage! On y monte donc, péniblement, avec nos valises, et arrivons devant un comptoir… bien occupé! ici aussi c’est plein, et déjà d’autres personnes cherchent, tout comme nous, un logement. La femme de l’accueil, gentiment, aide aux recherches en appelant, patiemment, tous les hébergements de la ville. Et, miracle, après vingt bonnes minutes, elle trouve un hôtel doté de trois chambres simple et une triple, pile ce qu’il faut, si ce n’est qu’un couple devra se partager un lit simple. No problem.

Ce n'était pas notre hôtel mais il lui ressemble…

Ce n'était pas notre hôtel mais il lui ressemble…

On part donc, à sept, fonçant dans la direction indiquée. On marche, encore et encore. On quitte le centre-ville, on passe sur un pont, on est entouré d’un bidonville, les habitants nous regardent, médusés. Après plus de trois quart d’heure de marche, on arrive au Sunflower Inn (à ne pas confondre avec l’hôtel, du même groupe mais nettement plus cher). Arrive l’enregistrement et là… On nous annonce que ce n’est pas possible qu’un couple dorme dans une chambre simple. S’en suit, de nouveau, une longue conversation de sourds avant que le réceptionniste nous dise de nous asseoir, qu’il allait trouver une solution. De nouveau, on attend. Il est vingt et une heure passé. Après un temps interminable, il nous annonce une bonne nouvelle : il a réussi à libérer une chambre simple « de luxe » (comment, ça on ne le saura jamais…). La situation avance, enfin. Les chambres sont petites, à peine la place de loger le lit, avec un ventilateur branlant fixé au plafond, des murs crasseux, une fenêtre obstruée et un sol recouvert de PVC usé, à l’exception de la chambre « de luxe », qui évidemment cumule les avantages précédents avec en plus d’ignobles toilettes privatives noircies par le temps ( on va dire), une douche usée et bouchée par le calcaire, un évier déglingué tout rouillé et en cadeau un énorme cafard, résident permanent et nouvel ami du chanceux locataire – moi-même.

La chambre "de luxe"…

La chambre "de luxe"… (et ici, elle parait presque bien!)

Le tout pour 23 dollars sans petit-déjeuner, soit un dollar de moins que le fantastique Groovy Bungalows où nous étions deux semaines avant… Nous ne resterons au Sunflower que deux nuits, le temps de trouver quelque chose de plus convenable!

…Et la salle de bain attenante

…Et la salle de bain attenante (on vous épargnera le cafard)

La nuit, à Yangon, on trouve des gens dans la rue, des enfants orphelins qui dorment sous des ponts et qui veulent jouer et manger, des familles qui vivent là ou qui tiennent des échoppes, qui vendent tout et n’importe quoi jusqu’à des heures tardives, et qui seront là le lendemain, toute la journée, au milieu du joyeux bazar de la ville, des voitures antiques, des pick-up des bus douzième main bondés mais pas des vélos, scooters ou motos, interdits ici (allez savoir pourquoi) qui doivent esquiver piétons et marchands qui débordent du trottoir par endroits autour du marché. A l’intérieur de ce dernier, les étals sont bien organisés par spécialités : grains, textiles, pièces mécaniques, produits d’entretiens, produits d’homéopathie (écorces, plantes en bocaux…), un rayon spécialisé dans la vente de longyi (une grande pièce de tissu qui remplace jupes et pantalons) et il est, malgré l’étroitesse des allées, très amusant de s’y promener, ne serait-ce que pour voir les regards béats des femmes et de se voir proposer très amicalement des… sacs de cinquante kilos grains…

Près du marché…En sortant, on se voit proposer de changer de l’argent, des dollars contre des kyats, la devise locale. C’est une bonne idée car nous en aurons souvent besoin, mais les conditions d’échange (dans la rue) ainsi que les pratiques et les taux plus que douteux des changeurs de rue nous pousseront à aller dans des boutiques ou banques privées, aux taux moins élevé mais… plus sûr de ne pas se faire rouler! Pendant plusieurs jours, et jusqu’au jour du décollage, nous avons couru après des billets de banque impeccables et pourtant…
« Monsieur, désolé mais on ne veut pas de ce billet…
– Pourquoi?
– Regardez ici, il est taché!
– … Il est… taché…?
– Oui, regardez ici, il y a une marque jaune…
– mademoiselle, vous savez que les billets de cent dollars sont naturellement jaunes?
– Oui, mais il y a une tache jaune ici, monsieur, on n’en veut pas! »
Un essai dans une banque plutôt qu’une boutique se révélera tout aussi compliqué, jusqu’à ce qu’un Birman, au guichet d’à côté et venu lui aussi changer des billets, nous dit « que nous devons être extrêmement attentifs à ce genre de détails! », ce à quoi nous lui répondions que oui, nous n’avions pas observé les micro-tâches sur les billets… Il nous dit après que nous pourrions toujours les changer dans la rue en étant prudents, mais la femme, voyant l’homme pointer la rue du doigt, changea d’avis, finalement le billet était acceptable… comme quoi tout est relatif…

Yangon est une ville superbe la journée : des bâtiments de tous les âges se rencontrent, créant un tumulte et une joyeuse pagaille architecturale, mélangeant immenses façades à colonnades et immeubles modernes, design des années 30 colorées et structures de briques rouges. La saleté est également souvent de mise, mais dès la nuit tombée, à Yangon, les défauts s’estompent, les bâtiments religieux s’illuminent, brillants dans la nuit tels des phares. La pagode Sule en est un bon exemple, cette dernière servant de rond-point et de centre commercial en journée devient un édifice magnifique dès la nuit tombée…

Des bâtiments superbes!

Des bâtiments superbes!

Et des modernes aussi

Il y a des immeubles modernes…

… a colonnades…

… a colonnades…

…d'autres sont moins reluisants (mais plus colorés)

…d'autres sont moins reluisants (mais plus colorés)!

Une rue de Yangon

Une rue de Yangon

Une rue de Yangon 2

Et que dire de la pagode Shwedagon, le sanctuaire le plus sacré de Birmanie? Nous irons la visiter un jour particulier, celui de mon anniversaire. Mais avant d’y aller, nous ferons un détour par une succursale de Sei Taing Kya, une des plus fameuse maisons de thé du Myanmar. Je m’attendais a des petites tables en fer forgé, des tasses de porcelaine, des ladies… et bien non! Tables en bois, clients exclusivement masculins et fumeurs, tasses en plastique… On commande un thé et un café, mais évidemment comme le lieu est vraiment local, les serveurs ne parlent pas un mot d’anglais, alors on se retrouve avec un café (au lait) et un thé (au lait). Je suis quand même content, ils font de superbes parts de gâteaux, et nous aurons la chance d’en manger une chacun – ça fait longtemps que ça ne nous était pas arrivé (pour la part par personne comme pour le gâteau tout court d’ailleurs)! En sortant, on va vers la paya, un peu plus loin et facilement identifiable car en hauteur…

Joyeux anniversaire!

Joyeux anniversaire!

Shwaedagon est incroyable : le stûpa central est immense (98 mètres de haut) et contiendrait huit cheveux de Bouddha, recouvert d’or (pas de la peinture dorée, non non… enfin on espère), avec en haut une girouette incrustée de pierres précieuses ainsi que plusieurs centaines de clochettes d’or et d’argent. En bas, ce sont pas moins de soixante quatre plus petits édifices qui l’entourent, et nous. Nous, tout petits devant cet immense joyau, visible de tous les coins de la ville. Nous si misérables à radiner les kyats pour être sûrs de pouvoir manger jusqu’à la fin du séjour quand une seule de ces pierres pourrait nous permettre de finir le voyage entier dans des conditions princières. Nous si humbles devant ces centaines de personnes venant prier quotidiennement… J’ai été marqué par ce lieu, énigmatique avec ses bâtiments partout, ses Bouddha de toutes sortes, ses stûpas brillant le jour, brillant la nuit… Car quand la nuit tombe un nouveau spectacle commence, les tonalités rouges vibrantes de la journée cèdent la place au jaune doré et au bleu intense de la nuit… Un endroit aux limites du réel, quand on marche sur le sol de marbre à peine chauffé par le soleil, lisse et propre, un endroit duquel émane une sensation de sérénité, loin de la ville et du bruit, loin des préoccupations de la vie quotidienne… Magique…

Shwedagon

Shwedagon

Pointe de Shwedagon

Hti

Les pointes des petits stûpas tout autour du grand

…Du rouge vibrant…

…Du rouge vibrant…

…Au bleu et or de la nuit!

…Au bleu et or de la nuit!

Une ferveur

Nous deux devant Shwedagon

Nous deux devant Shwedagon

Plus tard encore après la tombée de la nuit, nous irons dans la périphérie de Yangon, pour manger dans un restaurant « italianisant » (le chef est Birman mais a tout appris d’un chef Italien…) et fêter mon anniversaire autre part que dans un restaurant de rue.

Au menu ce soir, des pâtes, oui, mais au fromage!!! Mmmmm!

Au menu ce soir, des pâtes, oui, mais au fromage!!! Mmmmm!

Des pâtes aussi pour ÉlodieA Yangon, la nuit, la vie est surprenante. Les imams chantent la nuit, réveillant les pauvres bouddhistes (ou catholiques dans mon cas), qui eux, souvent vivant dans la précarité, se lèvent à l’aube et vont dans des lieux recouverts d’or et de diamants pour espérer avoir un meilleur karma et une réincarnation meilleure. A Yangon, la nuit, les phares des 4×4 éclairent les enfants des rues dormant à même le sol et les lumières baignant des superbes bâtiments contrastent avec les rues assombries encadrées par des immeubles délabrés. Une ville immense et bouillonnante qui se calme soudainement, avec le soleil couchant, seulement en vie grâce à ses formidables habitants, curieux et chaleureux, n’hésitant pas à nous inviter à boire une tasse de thé, juste pour le plaisir de la discussion. Ce soir, nous prenons un bus de nuit pour Bagan, et dans le taxi nous voyons la lumière faiblir, avant de s’éteindre dans le capharnaüm qui sert de gare routière à la ville, bien après l’aéroport qui est déjà bien assez loin de la ville… Nous montons dans le bus pour ne plus revenir ici, et c’est la nuit, à Yangon.

Notre lit pour la (courte) nuit

Notre lit pour la (courte) nuit

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  1. […] aussi des restaurants pour voyageurs et de nombreuses maisons de thé locales, comme expérimenté pour l’anniversaire de Fabien, sommaires bien sûr mais toujours animées et très agréables. Maison de thé où Fabien […]

  2. […] aussi des restaurants pour voyageurs et de nombreuses maisons de thé locales, comme expérimenté pour l’anniversaire de Fabien, sommaires bien sûr mais toujours animées et très agréables. Maison de thé où Fabien […]

Répondre à Les 4 000 temples de Bagan - De ci de la, de briques et de bois

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