Jodhpur

Il n’y avait pas de train entre la ville d’Udaipur et la suivante, Jodhpur. Nous prendrons donc le bus qui devait mettre « normalement » cinq heures. Il en mettra huit.
On nous avait prévenu, en Inde, il y a toujours du retard.

Les familles s’entasseront au fur et à mesure dans le couloir sans que personne ne descende. Nous filons bon train malgré les nombreux arrêts et je suis même surprise que nous ayons eu trois heures de retard sur un trajet qui s’est pourtant bien passé, avec les moyens mis à disposition bien sûr. Il existe des voies rapide en Inde, nous le savons, entre Agra et Jaipur, c’était le cas. Mais visiblement sur le tronçon en question aujourd’hui, on ne nous réserve que les routes en graviers ou en goudrons explosés (des nids de poule énormes transformés en marres provisoires après l’orage de cette nuit). Ça secoue un peu, rien d’alarmant. Cela nous permet aussi de traverser des petits villages isolés. Aaah c’est peut-être ça le retard ?
On ne sais pas et entre nous, on s’en fiche. On s’habitue à force de n’avoir aucune certitude quant aux horaires de départ ni d’arrivée.

Malheureusement, nous arriverons à 22h à Jodhpur et il fera nuit depuis longtemps. Les rues sont calmes. Pire ! Elles sont désertiques. Nous négocions deux rickshaws pour 70 roupies chacun car notre bus nous a lâché en périphérie du centre historique au bord d’une route (enfin… peut-être… à vrai dire, nous n’avons fichtrement aucune idée de là où nous nous trouvons). Notez bien : dans ce pays, il n’y a pas vraiment de gare routière, en tout cas, nous n’en avons jamais rencontré dans le sens propre « guichet de vente et bus rangés ou alignés ».
Le rickshaw indien ressemble à un tuk tuk asiatique à la différence près qu’il n’est pas tiré par un scooter. Sa banquette arrière est solidement reliée au moteur de devant, entraînée par un engin bien plus puissant. C’est un véhicule à part entière – rien de trafiqué ni de rafistolé – le concepteur l’a voulu ainsi. C’est un mélange entre camionnette, voiture à trois roues, scooter puissant aérodynamique et cockpit aéré. Il existe de gros rickshaws version utilitaire faisant office de camion de livraison, et son pendant touristique plus petit avec siège confortable sera celui que nous emprunterons régulièrement (pensez à négocier car les chauffeurs n’ont pas peur de gonfler les prix. Ils étaient particulièrement usants pour ça). Au final, le petit rickshaw est comparable au tuk tuk de Bangkok. Qui a envahit les rues de l’autre ? Huum, j’ai ma petite idée. Mais je crois qu’après recherche, l’inventeur du modèle fut italien… Et oui italien ! Toujours est-il que l’Inde est le premier pays a investir des millions dans cet engin.

Auto rickshaw indien

Nous pénétrons donc dans la vieille ville en rickshaw (qu’il faut dire « auto rickshaw » car motorisé). Nous nous glissons dans des dizaines de rues, pas plus large que deux mètres. Il faut faire preuve de souplesse pour rouler là dedans, c’est un peu comme de la danse classique. Je restai en admiration de la conduite sportive de notre chauffeur dans ce méli-mélo de passages.

Old Jodhpur

En plein jour

Notre guesthouse apparut enfin dans une minuscule rue avec un tas d’ordures pour nous accueillir et un sol boueux, probablement dû au débordement des égouts à ciel ouvert. Quelques vaches près de la porte d’entrée broutent des sacs en plastiques. Mais sinon, pas un rat dans le quartier. Jodhpur est la seconde plus grande ville du Rajasthan mais son vieux centre à cette heure-ci est totalement endormi. La ville est peut-être moins touristique que toutes les précédentes ? Cela nous va à ravir. Dans l’auberge nous seront accueillis par une famille. Nous logeons chez eux. Sur le canapé, la femme s’était endormie et son mari, qui veillait, la réveille doucement. Ils nous invitent à nous asseoir avec eux. Ils nous demanderont si nous avons fait bon voyage, ce que nous avons déjà visité en Inde et si nous avons mangé.
La maison de nos hôtes s’appelaient Heaven Guesthouse, nous avons passé un très bon séjour en leur compagnie. Dans les chambres il y avait eau chaude et wifi ET papier wc. Ne rigolez pas, en Inde, c’est un vrai luxe d’avoir du papier wc. Il y a même un hôte, à Agra, qui nous a suggéré de nous même nous en acheter si nous en voulions. Étrange ! « Aaaah l’Inde » qu’ils disaient les autres voyageurs…

Jodhpur a sûrement moins d’attrait que Jaipur ou encore Udaipur avec leurs nombres considérables de temples et de palais à voir. Mais elle a quelque chose que les autres n’ont pas ou perdu : elle se vit plus qu’elle ne se visite. Nous passerons des heures à flâner dans la vieille ville pour nous mêler à l’ambiance frénétique indienne. Nous ne serons pas insensible non plus à son architecture. Regardez plutôt…

Bleu Jodhpur

Surnommée à juste titre la ville bleue, la vieille ville est à la hauteur de son surnom. Le bleu offre une protection à la chaleur et repousse les moustiques. De plus, les murs de ces maisons ont été peints ainsi pour indiquer que les gens qui y vivent sont de caste brahmane.

Bleu Jodhpur

Le mot « caste » est un terme occidental, né d’un nom portugais « casta ». Dans la société indienne, deux concepts sont liés : le « varna » une sorte de caste socio-religieuse et le « jati » plutôt socioprofessionnel.

On compte plus de 4 000 « jati », une sorte de découpage de la société indienne. Les « jati » sont caractérisés par une activité professionnelle de principe (un fils de cordonnier peut ne pas reprendre les activités de son père) que l’on effectue dans une lignée familiale, en considérant l’ethnie, le code vestimentaire, la langue et la culture. On peut parler de « communauté ». Un homme se mariera avec une femme du même « jati » mais d’un autre village pour éviter tout problème de consanguinité.

Concernant les « varna », l’organisation est bien plus simple, on trouve :
– les Brahmanes, dont sont issus les prêtres, enseignants ou professeurs
– les Kshatriya qui fournissent les gouvernants et les guerriers
– les Vaishya ou agents économiques (commerçants)
– les Sudra ou artisans, métier de service

Purusha

Les textes hindous racontent que l’être humain serait issu d’un être divin du nom de Purusha. De sa bouche sont venus les Brahmanes, de ses bras les  Kshatriya, de ses cuisses les Vaishya et de ses pieds les Sudra.
A partir de cette conception, nul n’est supérieur à l’autre. L’humble artisan n’est pas inférieur au guerrier ni au prêtre, il  est complémentaire et indispensable. L’asservissement de certains par d’autres est probablement une faiblesse humaine, non une loi naturelle.

L’appartenance d’un homme à un « varna » donné dépend de sa naissance : un fils de Brahmane naît Brahmane. Mais un Sudra, par exemple, pourra améliorer son statut qu’au cours d’une réincarnation ultérieure par l’effet de bons « karma » (bonnes actions) accumulés au cours de sa présente vie. Pour un hindouiste, cette division est naturelle et correspond aux tempéraments de l’être humain. Une personne avec une grande force et de la bravoure nait Kshatriya par nature.

Par ailleurs, une autre classe de personnes est mentionnée dans les textes, n’ayant aucune position dans l’un de ces quatre « varna ». Les Brahmanes, les  Kshatriya, les  Vaishya ou les Sudra considèrent ces personnes comme des « intouchables » et… ont tendance à les éviter. Ces derniers préfèreront s’appeler « Dalit » (opprimés) ou « Harijian » (Enfants de Dieu, comme les nommait Gandhi en signe d’égalité entre les hommes). Ces hommes n’appartiennent à aucune caste…
L’apparition des intouchables au cours de l’histoire de l’Inde s’expliquerait peut-être de part certains métiers de nature sales comme les vidangeurs ou éboueurs. Les gens excluaient alors ceux qui manipulaient des substances sales ; on pense aussi que les intouchables seraient apparus suite à des délits très graves que l’on punirait par une exclusion sociale définitive. Ce phénomène s’est développé au cours des siècles au point d’atteindre un chiffre significatif de la société (un peu plus de 160 millions) car, comme dans le système des castes, lui aussi est héréditaire.

Gandhi

Gandhi a toujours lutté afin d'améliorer le sort des "intouchables"

Considérer un homme comme « intouchable » ou simplement faire preuve de discrimination selon un système de castes est désormais interdit selon la Constitution indienne.

Mais les impératifs de survie économique d’une « communauté » face à une autre font que la discrimination a encore beaux jours devant elle.
Heureusement, la croissance rapide des grandes villes comme Mumbai ou Delhi commence à nuancer le tableau. La caste y est de moins en moins liée à un « jati » et les changements de professions de pères à  fils s’accélèrent. L’émergence d’une société aisée, l’augmentation du nombre de divorces ou l’éducation supérieure éloignent progressivement les gens des conceptions de castes. Ainsi on peut lire aujourd’hui dans de nombreuses annonces matrimoniales « caste indifférente ».

Par contre, même avertis, pour des occidentaux comme nous en voyage, il est toujours très surprenant d’entendre son interlocuteur se présenter à vous ainsi : « Bonjour, je m’appelle X et je suis de caste Brahmane » Pardon ?? Vous pouvez répéter ? Moi, c’est Élodie, juste Élodie. C’était le cas de mon professeur de cuisine à Udaipur. Sans vouloir juger ce système complexe ancien, j’ai trouvé que sa vie (après une rapide explication de sa part) n’était pas facile – beaucoup de restrictions et d’obligations. Cependant, et vous vous en rendrez compte une fois sur place, soyez rassurés, ce fut la seule fois où nous avons ressenti ce système ! La plupart du temps, chacun vit l’un avec l’autre sans aucune distinction.

Fort de Jodhpur

Du haut du fort de Jodhpur, nous avons pu observer le nombre considérable de maisons peintes en bleu. Cela donne un horizon assez esthétique. Des cubes bleus se détachent d’autres cubes bleus, pour donner un ensemble géométrique original tout en dégradés, comme dans un vieux jeu vidéo où le paysage n’était dessiné que par des milliers de gros pixels et de carrés de couleurs unis. On a presque envie de faire sauter Mario sur les toits-terrasses et de taper dans la boite pour récupérer une pièce.

Merhangarh Jodhpur

Fort de Jodhpur éclairé de nuit

Merhangarh

Le fort de Merhangarh...

Vu d’en bas, le fort de Merhangarh est imposant mais d’une simplicité étrange, par contre, une fois dedans, les détails des  sculptures sautent aux yeux mais sa visite est rapide. La partie anciennement habitée est assez petite et les contreforts ou remparts prennent une place importante pour protéger la citadelle.

Merhangarh Jodhpur

Merhangarh Jodhpur

Merhangarh Jodhpur

D’ailleurs, vous avez peut-être déjà entendu parler de Jodhpur dans le milieu de la mode ? Cela vient de la coupe d’un pantalon remis au goût du jour par les grands couturiers : un pantalon de cavalier, serré au niveau des chevilles et progressivement plus amples près des hanches. On dit que mal porté par les femmes, cette coupe grossit les fesses ; mais à Jodhpur, j’ai vu de nombreux hommes habillés tout en blanc avec un turban rouge sur la tête porter à merveille ce genre de pantalon. Je les imaginais, fiers, sur leurs fidèles destriers, chevaux ou chameaux, galoper sur les terres arides du Rajasthan et pénétrer sous un tonnerre d’applaudissements dans le fort de Merhangarh.

Merhangarh Jodhpur

Merhangarh Jodhpur

Difficile de franchir les portes dans ces conditions...

Nous passerons plusieurs heures dans les anciens appartements du Maharaja à écouter les récits chevaleresques ou anecdotes chuchotés dans notre oreille par l’audioguide fourni avec le billet d’entrée. Saviez-vous qu’après la mort de l’empereur, ses femmes s’étaient soigneusement préparées au rituel de « sati » : un suicide collectif où elles s’immolaient dans les cendres de crémation de leur mari ?
Notre visite prendra une tournure plus rigolote près des temples principaux du fort. De nombreuses familles indiennes sont là, comme nous, à visiter leur beau patrimoine. Les indiens aiment les photos et posent sur à peu près n’importe quoi. Éveillant notre sympathie, Fabien s’approche de plusieurs personnes avec son objectif dans la main sans toutefois vouloir prendre des photos. Quelle fut notre surprise lorsque les protagonistes se précipitèrent sur lui en posant pour une photo. Le cliché pris, Fabien tend son écran afin de leur présenter la photo. Les familles sont ravies, rigolent et parlent en hindi. Ils s’organisent pour poser pour de nouveaux clichés… ! Que nous ne leur refuserons pas ! Ils nous remercieront avant de nous quitter.

Femmes indiennes dans le fort de Jodhpur

Femmes indiennes

En redescendant du fort vers la vieille ville, les habitants nous réserveront à peu près le même accueil. Quelques enfants nous saluent gentiment sans rien réclamer et d’autres se précipitent sur nous en criant « Photo ! Photo ! ». Prévenant, Fabien précisera toujours qu’il ne donnerait pas de roupies pour ça. Mais visiblement, les gamins s’en fiche d’avoir de l’argent. Ils seront tout excités de se voir sur un écran.

Nous adorons ces gamins !

Enfants indiens

Depuis que nous sommes partis en voyage, nous avons appris à entrer en contact beaucoup facilement avec les habitants, surtout les enfants. Le courant passe très vite et on s’amuse tous ensemble dans la rue. C’est des petits moments extraordinaires et je crois, que nous sommes enfin vraiment dans NOTRE voyage maintenant. Il ne faudrait plus qu’il s’arrête.

Lassi du Rajasthan

On ne se lasse pas de manger/boire des lassi, surtout dans cette boutique réputée pour avoir le meilleur d'Inde !

Les petites rues de Jodhpur sont vraiment jolies, sales bien sûr (y a-t-il encore besoin de le préciser en Inde ?) mais beaucoup sont peintes dans un bleu parfait et possèdent des cours anciennes en très bon état.
L’occupant de l’un d’entre eux, voyant mon intérêt pour sa maison, m’invita à boire un chai (thé) chez eux avec eux. Ça tombait bien, il venait d’en préparer une grosse quantité. Gênée (ou surprise car c’est la première fois que cela m’arrive en Inde), je déclinerais l’invitation… et puis, je ne suis pas seule ici.

Maison bleue de Jodhpur

Old Jodhpur

Old Jodhpur

Intérieur d'une maison de la vieille ville

Entrée d'une maison de la vieille ville

Au pied de Merangarh

Au pied de Merhangarh

Nous continuerons notre ballade à travers les rues pour atteindre la partie la plus touristique de Jodhpur : la tour de l’horloge. Nous ferons quelques emplettes sur le marché principal, là où qualité ne brille pas mais les bas prix oui.

Clock tower Jodhpur

Tour de l'horloge

Marché de Jodhpur

Les négociations vont donc bon train – les indiens sont vraiment très durs en affaire – et on s’imprègne, chacun en silence, de l’ambiance indienne… comme si malgré qu’elle soit parfois agaçante, on n’avait secrètement plus envie de la quitter… C’est donc cela la magie de l’Inde ? Aurions-nous succombé aux mystères envoutant de ce « continent » ? Après trois semaines de périple dans cet étrange pays, je commence peu à peu à comprendre les récits des autres voyageurs. Désormais, les rickshaws se bousculent et klaxonnent, je souris ; les gens crient, c’est presque devenu un délice.
Nous flânerons d’un étal à un autre ou d’une boutique à une autre. J’avais dans l’idée de rapporter des épices pour cuisiner à la maison les plats que j’avais appris à faire dans mon cours de cuisine. C’est chose faite. La cuisine indienne est une des meilleurs cuisines que nous ayons goûté, nous avons peur de trouver désormais notre cuisine française…eu…fadasse (si si !).
Catherine, la maman de Fabien avait elle envie de rapporter un maximum de tissus d’Inde. Mission accomplie ! Ils repartiront avec un sac rempli d’étoffes d’Inde. Ce pays est une caverne d’Ali Baba, il n’y a plus aucun doute.

Faire des emplettes à Jodhpur

Faire des emplettes à Jodhpur

Boutique de vente de tissu

A l'intérieur d'une boutique de vente de tissus

L’aventure des parents de Fabien touche à sa fin. Pour notre dernière journée ensemble, nous feront une ultime photo tous les quatre au pied du tombeau Jaswant Thada, construit en mémoire du maharaja Jaswant Singh II, aujourd’hui un lieu de crémation des dirigeants de la ville.

Jaswant Thada

Ce fut la seule photo de notre séjour prise tous ensemble, comme si elle était plus importante que toutes les autres, comme s’il fallait immortaliser ce moment, la petite famille réunie au cours d’un beau périple, des images et plein d’anecdotes partagées tous les quatre. Merci Catherine et Claude d’être venu nous rejoindre !

Jaswant Thada

Il est donc l’heure de quitter la ville, Jodhpur et ses maisons bleues, Jodhpur et ses gamins souriants, Jodhpur et ses toutes petites rues, ses bazars entremêlés. La ville bleue nous aura paru être une des plus sympathiques que nous ayons traversé depuis notre arrivée en Inde. Les habitants, curieux, conversaient avec nous (ils n’en voulaient presque pas à notre portefeuille). Ils nous saluaient, certains s’étonnaient même de notre bonne humeur. Pourquoi ? C’est naturel, on vous la rend bien ! Les enfants jouaient au criquet dans les parcs en se chamaillant gentiment ou jouaient sur les escaliers de leurs maisons.

Terrain de criquet

Les enfants sont dingues de criquet !

Criquet en Inde

Il n’y a pas grand chose à faire d’un point de vu touristique à Jodhpur mais comme je l’ai déjà dit plus haut, Jodhpur est une ville à vivre. Et ça, ça compte beaucoup.

Old Jodhpur

 

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