Gravé dans le marbre

La légende raconte que le Maharaja Shâh Jahân était éperdument amoureux de sa seconde femme, la maharana Arjumand Bânu Begam. Ensemble, il affrontaient les difficultés de la vie quotidienne, intime comme royale, et avaient déjà treize enfants heureux, et un quatorzième qui allait bientôt agrandir un peu plus le cercle familial. Hélas, trois fois hélas, le jour de la mise au monde du nouveau né, une terrible nouvelle vint aux oreilles du roi, une nouvelle dont il ne se remettrait jamais… Sa femme et l’enfant étaient décédés ensemble durant l’accouchement. Shâh Jahân s’effondra, et on dit que ses cheveux devinrent tous blancs en une nuit, celle de la mort de sa bien aimée… Pour honorer la mémoire de sa compagne chérie, il ordonna la construction d’un mausolée étincelant, un de ceux que le monde regarderait avec révérence et dévotion, immense et d’un blanc pur, un mausolée qu’il pourrait visiter chaque jour de sa vie…
Les années passèrent et la construction du sépulcre allait bon train, mais cependant tout n’allait pas bien dans le royaume du maharaja, et bientôt un de ses fils se rebella tant et si bien qu’il prit le pouvoir dans un coup d’état et le père, bientôt dépassé par les évènements, se retrouva prisonnier de son propre fils, enfermé dans une salle du fort qu’il avait fait ériger pour se protéger avec sa famille, en haut d’une haute muraille, impossible pour lui de s’en échapper… Le seul plaisir lui restant était de pouvoir admirer l’ode à sa femme s’élever, lentement. Les constructions durèrent au final vingt cinq ans, dont huit années où Shâh Jahân fut enfermé… Enfin, après des années, il put s’approcher du tombeau, rejoindre sa femme, il pénètrera dans le funeste bâtiment une seule fois pour ne jamais en sortir… voici le Taj Mahal.

Voici le Taj Mahal

Voici le Taj Mahal

Le temps est passé, emportant avec lui princes, maharanas et maharajas, glorieuses époques et funestes destins, laissant seulement des noms et des histoires gravées dans la pierre, et l’époque moderne vint, le tourisme avec, transformant le bazar de la porte sud du Taj, formé à l’origine par et pour les nombreux ouvriers et leurs familles, en vaste zone touristique où chaque terrasse « avec vue » devient un restaurant, où chaque bâtiment dépassant une certaine envergure se transforme en un hôtel à la fortune variable, depuis le palace de luxe jusqu’au lieu de passe sombre et glauque, où les rues étroites muent en terrains de chasse des rabatteurs toujours à l’affut d’un client à trainer dans une boutique, un café ou un lieu de séjour.

Des rues d'Agra

Des rues d'Agra

Des rues d'Agra 2

Agra, la ville, le site

Voici Agra, côté visible par le touriste, le gros de la ville étant à bonne distance des sites touristiques, une ville manquant de charme, ville défigurée par le tourisme de masse recherchant les bas coûts plus que la qualité ou l’esthétisme, au coeur maintenant protégé par de strictes lois interdisant tout moteur polluant à moins de cinq cent mètres du tombeau.

Devant la "perle de l'Inde"

Devant la "perle de l'Inde"

Depuis une des très nombreuses terrasses du Bazar

Depuis une des très nombreuses terrasses du Bazar

Et nous, au centre de ce coeur, nous sommes assis sur un banc, à admirer le blanc monument de marbre importé du Rajasthan et de grès rouge local, dans une construction qui n’est pas sans rappeler le tombeau de Humayun que nous avions déjà découvert quelques jours auparavant à Delhi. Après une première cour grande et carrée mais sans trop d’intérêt, nous débouchons devant l’entrée principale et là c’est le choc : d’une symétrie parfaite, le sépulcre est encore plus beau que ce qu’on s’imaginait ou qu’on avait vu en images. La piscine le bassin aux fontaines s’allonge droit vers le fond, formant une croix (les quatre rivières d’eau, de vin, de lait et de miel décrites par le coran) divisant un paisible jardin parcouru seulement par les touristes désireux de flâner un peu dans les lieux et les écureuils curieux et affamés, sans doute nourris par les jardiniers venus entretenir les pelouses et bosquets avec leurs boeufs.

La première cour

La première cour

La vue offerte au visiteur lors de l'entrée

La vue offerte au visiteur lors de l'entrée

Les jardins vus du Taj Mahal

Les jardins vus du Taj Mahal

La fontaine divise de manière parfaite le jardin, offrant une perspective superbe

La fontaine divise de manière parfaite le jardin, offrant une perspective superbe

Vache et Taj

Vaches et Taj

Aux quatre angles, des minarets immenses encadrent un volume cubique percé de grandes portes et surmonté d’un dôme en forme d’oignon, et sur ses côtés deux mosquées inaccessibles aux touristes, une première à gauche est utilisée tous les vendredis pour les offices, et une seconde à droite, identique en tout point sert… de décoration uniquement, le pendant symétrique de la première mais inutilisable car n’étant pas orienté vers La Mecque!

Le Taj entouré de ses mosquées

Le Taj entouré de ses mosquées

La mosquée du vendredi

La mosquée du vendredi

Quel spectacle surprenant! Le prix d’entrée du monument étant élevé, nous nous passions la veille de la visite du fort bâti par Shâh Jahân, et nous tournions autour du Taj, l’objet de notre visite, au détriment du palais, autre bijou de la ville, d’abord en nous approchant de ce dernier pour essayer de s’imaginer comment le monarque pouvait voir son oeuvre. La forteresse, de près, est véritablement immense, toute de grès rouge, et il faut prévoir un temps fou pour pouvoir en faire le tour (d’ailleurs nous nous arrêterons après à peine un quart de la muraille tant le temps nous manqua)!

L'entrée du fort d'Agra

L'entrée du fort d'Agra

La fenêtre de la "prison dorée"

La fenêtre de la "prison dorée"

Puis, nous nous jetions dans la Yamuna, une rivière sacrée en Inde, non pas pour être bénis mais pour avoir un point de vue un peu « inédit » sur le tombeau (à l’origine, je souhaitais passer par le pont un peu plus loin, mais alors, quelle distance à parcourir aller-retour, tout ça pour un spectacle dont nous n’étions pas sûrs de la qualité)!

Le Taj Mahal vu depuis le bas du fort d'Agra

Le Taj Mahal vu depuis le bas du fort d'Agra (ou presque)

Bon, nous « jeter » n’est sans doute pas non plus le terme le plus adéquat, mais nous nous en serons bien rapprochés, esquivant ordures, mares d’eaux stagnantes, chiens errants, vaches… et bouses de vaches évidemment! L’odeur ne sera pas la plus enthousiasmante, mais la vue, en revanche… Pourtant, de loin, rien ne laissait présager de l’état second dans lequel nous serions plongés le lendemain, une fois au plus près du site.

Allez, tous dans la Yamuna!

Allez, tous dans la Yamuna!

Voici la photo que je prenais sur la photo précédente… Taj et Vaches (2)

Voici la photo que je prenais sur la photo précédente… Taj et Vaches (2)

La Yamuna, vue depuis le Taj Mahal

La Yamuna, vue depuis le Taj Mahal

En y regardant de plus près, on peut découvrir des détails invisibles de loin, des frises entières recouvertes de fleurs finement sculptées dans un marbre blanc d’une perfection inégalée, des treillis de pierre encerclant « la perle de l’Inde », des dalles au sol ajustées au centimètre près… Il a fallu mobiliser pas moins de vingt mille personnes pour tailler ce bijou sur mesure, en faisant venir des artisans réputés du monde entier, depuis l’extrême-orient jusqu’aux confins de l’Europe!

Détail du mur

Détail des bas-reliefs

Frise sculptée et incrustée dans le marbre blanc du bâtiment

Frise sculptée et incrustée dans le marbre blanc du bâtiment

Colonne

Encadrant les portes, des sourates du coran gravées dans une pierre noire sont incrustées dans la pierre blanche, donnant une impression d’éternité. Les textes semblent décrire les lieux comme étant une porte d’accès vers le paradis (d’après l’encyclopédie en ligne wikipédia, j’ai une connaissance assez limitée de ces langues)…

Une porte du Taj Mahal

Une porte du Taj Mahal

Une autre porte

Détails des frises, avec des sourates

Détails des frises, avec des sourates

Aujourd’hui comme hier, le lieu reste empreint de paix et de tranquillité, et nous restons sans voix, dans ce jardin aux arbres feuillus, devant cet ode à l’amour d’un homme pour une femme, dans ma mémoire seul témoignage que nous ayons croisé qui allait dans ce sens seul et unique durant l’ensemble de notre périple. Les buildings de New York, Hong Kong, Sydney ou Bangkok, les cités du Machu Picchu ou d’Angkor, la grande muraille de Chine ou les temples de Bagan, toutes ces créations humaines avaient une fonction sociale, stratégique, économique, ou plusieurs choses en même temps, mais jamais un bâtiment… pour un amour perdu. Aujourd’hui, qui pourrait faire ça? Chaque jour qui passe, je vois notre voyage continuer, et je me demande quelle trace nous laisserons de notre passage sur cette terre, de notre existence, ce que je laisserai en témoignage de ma vie, de ce voyage qui va si vite, cette vie dans une vie, et dont les contours sont de plus en plus définis chaque heure qui nous rapproche de la fin… Et après?

L’intérieur de la sépulture de Mumtaz Mahal (l’autre nom de la maharana Arjumand Bânu Begam) est à la fois simple et dense, simple par sa construction, une vaste pièce encerclée par huit autres plus petites formant comme des vestibules, filtrant la lumière naturelle vers la réplique de la tombe de la femme, le corps reposant en réalité dans une crypte en sous sol, lieu inaccessible au commun des mortels comme vous et moi. Le tombeau, placé à l’exact centre de la pièce, n’est pas seul mais accompagné de celui de son mari, Shâh Jahân, cassant de fait la symétrie parfaite de l’ensemble.

Les tombeaux

Les tombeaux de Shâh Jahân (à gauche) et Arjumand Bânu Begam (à droite)

Les deux blocs de marbres sont encadrés par une sorte de barrière aux superbes détails fleuris dont beaucoup méritaient des explications approfondies vue le nombre de guides touristiques s’y attardant! La visite se faisant dans un sens imposé, on tournera en escargot dans le bâtiment, mais à la vitesse du lapin!

La frise protégeant les tombeaux

La frise protégeant les tombeaux

Le Taj Mahal est au final un bâtiment surprenant, de mille manières : on croit le connaitre, l’avoir vu sous toutes ses coutures, tout savoir sur lui, et quand on l’a devant les yeux, c’est tout à fait autre chose… A la fois plus grand et plus petit que ce que je m’imaginais, il est beaucoup plus détaillé que ce que toutes les photos et vidéos de lui voudraient montrer, avec ses bas-reliefs de fleurs, son dallage parfait, sa pierre si fine qu’elle laisse passer la lumière à l’intérieur… La « perle de l’Inde » mérite bien son surnom, et nous resterons marqué par ce lieu dont l’histoire est aussi poétique que les courbes sont élégantes…

Taj à 3

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déjà 3 commentaire, réagissez à ceux ci ou commentez vous aussi à “Gravé dans le marbre”

  1. jacky dit :

    ….le voyage continu ! plus surprenant que jamais avec l’inde , un pays qu’il faudra découvrir dans l’avenir, ou bien dans une autre vie, réincarnés…. mais sous quelle forme ?

    Jacky

  2. Chnonis dit :

    Un autre moment très émotif de votre périple…
    On attendait avec interêt votre expérience de vie… et votre découverte de ce lieux mythique…
    Et comme à chaque fois que l’on vous lit… On n’a pas été deçu…

  3. […] Inde que nous allons trop vite quitter : la ville de Delhi, que nous aurons à peine effleuré, Agra, avec le Taj Mahal, Jaipur et le palais des Vents, où j’aurai enfin pu voir en vrai mes […]

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