Boycott ?

Notre itinéraire d’un an ne s’est pas construit en un seul jour sur un coup de tête. Quelques choix ont été faits avec beaucoup de réflexion. Sur notre parcours d’un an, nous allons nous rendre dans des régions isolées, n’ayant presque aucun poids (en apparence) sur  l’économie mondiale, des régions ignorées par le tourisme de masse. Elles font parfois polémiques et subissent aussi du « boycott » régulier.

En janvier 2013, nous allons nous rendre au Myanmar pendant un mois. D’après les nombreux guides touristiques et les personnes à s’y être rendues, le Myanmar (Birmanie) compte parmi les destinations les plus fascinantes au monde. « Voici la Birmanie, un pays qui sera différent de tous ceux que tu connais. » – Kipling. Mais une question délicate plane sur ce pays depuis l’instauration d’un boycott sur le tourisme en 1995. En effet, le Myanmar reste une dictature où les droits de l’homme sont encore bafoués. Alors, faut-il y aller ?

Nous ne pouvons commencer cet article sur le Myanmar sans revenir un peu dans l’histoire… Nous sommes dans les année 1990…

Après des décennies d’isolement volontaire, la faillite économique au Myanmar pousse ce pays à importer de quoi nourrir sa population. Le pays commence à s’ouvrir. La première dictature au monde (par sa longévité) a ainsi invité les investisseurs étrangers : elle allonge alors la durée du visa d’une semaine à 28 jours et proclame 1996 « Visit Myanmar Year » (Année du tourisme au Myanmar), espérant voir affluer un demi-million de touristes. Le monde y vit un signe positif : le gouvernement qui avait ignoré les résultats des élections de 1990 commençait à changer… Mais on appris très vite ce qui s’y passait… Des centaines de milliers de travailleurs forcés étaient mis à contribution pour construire des pistes d’aéroports, des routes, et préparer des sites touristiques. Des villages entiers, comme le Vieux Bagan, furent déplacés pour laisser place à des hôtels de luxe. S’en suivit alors un boycott par le reste du monde qui eut un effet immédiat. Et il  fonctionna : moins de 200 000 visiteurs se rendirent au Myanmar durant « l’Année du tourisme au Myanmar ».

Aujourd’hui, certains groupes militants dissuadent encore les touristes de s’y rendre et de nombreuses agences de voyages soutiennent ce boycott. En parallèle à cela, d’autres militants, dont nombreux citoyens du Myanmar, affirment que le boycott n’a plus de sens : il a incité les généraux militaire birmans à conclure des accords beaucoup plus lucratifs avec d’autres États tel que l’Inde et la Chine. L’impact du tourisme sur le PIB du Myanmar n’est que de 0,7%… L’intérêt de ce secteur est donc passé aujourd’hui largement au second plan. Les généraux ont courtisé les pays voisins, négociant son pétrole et son bois. Ce sont des millions de dollars qui entrent désormais en jeu… Face à ce constat, le boycott touristique a t il encore un sens aujourd’hui ? Le débat est lancé. Tout voyageur se doit de se poser la question avant d’y envisager un séjour.

L’écrivain en exil, Thant Myint U, réagit face au boycott actuel. Selon lui, l’isolement d’un gouvernement refermé sur lui-même est « contre-productifs et dangereux ». Il ne fait que durcir l’attitude des généraux. Soulignons aussi que le secteur touristique s’est largement privatisé par rapport à ses débuts d’il y a vingt ans, lorsque les autorités avaient un contrôle absolu. Ainsi, aujourd’hui, 80% du budget d’un voyageur indépendant peut revenir à des particuliers sans passer par la junte militaire. Pour cela, il faut s’informer, loger dans des pensions privées, sortir des sentiers battus et orienter ses dépenses autant que possible vers le secteur privé. « Le tourisme, fenêtre sur le monde extérieur, en apprend davantage aux Birmans que n’importe quel site internet. Les étrangers s’assoient, discutent et apportent de nouvelles idées, un nouveau souffle » a dit Zarni, professeur à Oxford et fondateur de « Free burma Coalition ».

« Si la Birmanie était moins isolée, s’il y avait plus d’échanges commerciaux, plus de contacts, plus de tourisme surtout, alors peut-être les conditions seraient-elles réunis pour un changement politique dans dix ou vingt ans » Thant Myint U

En choisissant de partir visiter le Myanmar pendant notre tour du monde, nous avons décidé de voyager plus intelligemment que dans n’importe quel autre pays. Nous ne partons pas pour « faire des photos » (mais nous en ferons, bien entendu). Nous ne partons pas non plus à des fins militantes (que l’on rassure tout le monde !!). Faire un tour du monde c’est réfléchir, s’ouvrir au monde, essayer de le comprendre, l’observer avec nuances, témoigner.  En choisissant de partir au Myanmar, il a fallu poser le pour et le contre.  Nous avons rencontré un voyageur il y a un an, adhérent à abm, revenant de trois semaines de séjour au Myanmar. Son récit nous a captivé. Il avait l’air si ému de son voyage… Comment un pays peut-il bouleverser tout un homme ? La question nous est encore sans réponse… Le peuple birman est décrit comme authentique, généreux, curieux, bavard, bon enfant et non-influencé par par le tourisme de masse ni la dictature actuelle (évitons certaines questions cependant). Nous avons découvert par le biais de cet homme d’abm une culture très particulière aux multiples facettes et des paysages à couper le souffle ! Mais en voyageant dans ce pays, nous avons pris la décision de financer au minimum les généraux militaires en évitant certain lieu touristique. Nous pouvons limiter ainsi notre impact.

 

Mais soyons cependant réaliste : le tourisme n’influence plus réellement les devises de la dictature birmane. Elle en dépend très peu dorénavant. L’essentiel de ses ressources vient du commerce des pierres, du bois, des textiles et surtout du pétrole et du gaz. Les investisseurs asiatiques sont très gourmands, notamment …

La Chine.

Curieuse coïncidence en effet car la deuxième région de notre itinéraire subissant un boycott important de la part de militants mondiaux se trouve en Chine : le Tibet. Voici un texte qui nous a décidé à nous y rendre :

« La question du Tibet n’est pas aussi simple qu’exprimée parfois. Je crois qu’il y a encore des malentendus sur la culture tibétaine et sur ce qui se passe à l’intérieur et l’extérieur du Tibet. Par conséquent, je salue toutes les personnes ouverts d’esprit pour découvrir par elles mêmes quelle est la réalité au Tibet. Nous vivons une époque de changements rapides dans le monde entier, mais particulièrement à l’heure actuelle en Asie et en Chine.  Je crois que mon approche non violente, entraînant un dialogue constructif, attirera un soutien efficace et de sympathie au sein de la communauté chinoise.

En attendant, je suis également convaincu que plus de gens se rendront au Tibet, plus le nombre de ceux qui soutiennent la justice via une solution pacifique va croître. »

– Le Dalaï Lama -

Nous lisons beaucoup d’ouvrage actuellement traitants de l’Asie (le bouddhisme, La question du Tibet, Histoire de Chine, etc) et nous avons été marqué par certains faits annoncés… Sans vouloir pointer du doigt la Chine (un fantastique pays !), nous sommes en droit de nous poser quelques questions lorsque des ONG, ou encore l’ONU dévoilent des chiffres aussi inquiétants.

– l’ONG dénonce l’usage massif de la peine de mort : 5 000 à 8 000 personnes sont exécutées chaque année. Un scandale a éclaté : les juges corrompus s’enrichiraient en revendant des organes des condamnés.

– plus de 3,5 millions de personnes on été expulsées de leur logement depuis le projet de rénovation urbaine en 1990

– le droit à la santé est extrêmement précaire : la proportion de chinois ayant accès à la santé publique est passé de 71% en 1981 à 21% en 1993.

– depuis l’invasion chinoise au Tibet, sur 6 millions de tibétain, on estime 600 000 morts (famine, extermination, suicides suite à des internements). C’est 10% de la population.

(Source : Frédéric Lenoir, écrivain et directeur du magazine « Le Monde des religions »)

Il faut bien sûr prendre du recul par rapport à la presse mondiale, s’emparant d’éléments divers pour les grossir, mais force est de constater régulièrement que malgré l’essor économique de la Chine, les indicateurs tel que la démocratie, la santé, les droits de l’homme, la propriété intellectuelle, révèlent une Chine progressant très peu dans le temps.

En boycottant le Myanmar ne pousse-t-on pas les généraux dictateurs dans les bras de voisins riches où le respect des droits de l’homme laisse tout autant à désirer ?…

Alors, boycott ou non ? Faut-il y aller ? Tout visiteur doit se poser la question et apporter sa propre réponse en construisant son séjour de manière à  reconsidérer son impact sur les lieux visités. Il existe mille petits gestes qui font une vraie différence pour la population.

« Ne venez pas uniquement pour prendre des photos. Nous n’avons pas besoin de ce genre de touristes. Parlez avec ceux qui veulent parler. Racontez-leur comment vous vivez » – un habitant de Yangon -

Et nous croyons que c’est cela un tour du monde, peu importe le lieu où vous vous rendrez.

 

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  1. […] la Démocratie » (NLD) le nouveau parti majoritaire du pays. Les choses bougent, et oui. Avant notre départ en tour du monde, le Myanmar était encore un pays isolé, aux informations filtrées, victime de l’embargo […]

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