Alors ? Le retour ?

Il m’aura finalement été assez difficile de mettre des mots sur les nombreux sentiments qui m’auront assailli depuis notre retour en France.

C’était en Mars 2013. Depuis, sur ce site, j’enchaine les recettes de cuisine, les comptes-rendus avec les écoliers, et le silence. A l’éternelle question : « Alors ? Le retour ? », souvent je répondais par un vague haussement d’épaules, ne sachant trop comment exprimer mes émotions et mes réflexions. Très vite j’enchainais par des propos plus faciles à transposer en récit « Ce voyage… super ! L’Inde par exemple, c’est un pays bouleversant, à la culture si différente et si riche. La Chine, elle, est un pays de paradoxe, il faut vraiment le vivre sur place. Le Pérou, la Bolivie… aaah ! Avez-vous songé une fois à faire le Sud Lipez ? Ou même la région des trésors incas ? Il n’y a pas que le Machu Picchu… ».

Dernier vol : Mumbai - London

Retour en Europe, aéroport de Mumbai

Des tonnes et des tonnes de choses à raconter, voilà ce que me réservera notre retour. Et jamais une seule fois, à la terrible question « Alors ? Le retour ? » nous nous sommes étendus sur le sujet. Jamais.

Nous ne le vivons pourtant pas si mal ce retour, enfin, globalement, sur une moyenne faite sur cent cinquante jours.

Il m’aura fallu donc six mois aujourd’hui pour enfin arriver à vous expliquer ce qui nous est arrivé depuis Mars 2013 dernier…

Ouistreham, retour en France, en ferry depuis Portsmouth

Mes parents m'ont réservé une surprise au port de Ouistreham en France... Ils avaient traversé la France pour venir m’accueillir. Ma sœur "normande", elle, m'attendait, depuis un mois, impatiente !

En posant les pieds à Londres puis à Caen, Nantes, Lyon et finalement Paris, la première chose qui nous a marqué, c’est le temps. Pas la météo ; bien que cette obsession qu’ont les français pour cette dernière nous a parfois laissé songeur. Je parle du temps qui passe bien sûr.

De Mars 2012 à Février 2013, nous avons vécu pas mal de choses, des expériences toutes plus fortes les unes que les autres – plaisantes ou déplaisantes – et curieusement, malgré notre rythme plutôt « plan plan » par rapport à notre Occident, nous avions le sentiment d’avoir savouré chaque instant à 200% (avec un rythme lui à 30%). L’année 2012 aura été, je crois, riche en découverte pour nous, forgeant et modifiant ainsi jusqu’à notre propre caractère. Bouleversés par tant d’évènements en si peu de temps, en rentrant, nous avons alors redécouvert notre France… une France qui, elle, n’avait pas changé. Pas un brin, rien. Les gens avaient toujours les mêmes habitudes que lorsqu’on les avait laissé, les mêmes gestes au quotidien, les mêmes préoccupations ; les programmes télé n’avaient quant à eux pas du tout évolué, et pire ! Les pubs ou clips musicaux étaient ceux diffusés avant notre départ ! Exactement les mêmes ! Nous nous sommes mis alors avec Fabien à fuir comme la peste la routine potentielle qui pouvait à tout moment s’installer dans notre couple, comme manger à heures fixes ou suivre un programme télé, impossible.

Ballade dans les montagnes de France

Mars 2013 : rien de plus ressourçant qu'une ballade improvisée, avec ses parents

Je n’ai pas d’explication à cette réaction.  Je me rappelle juste que nous en voulions terriblement à notre pays de ne pas avoir évolué autant que nous ; un an, c’est quand même long, non ? Nous ne supportions pas non plus à l’époque le terme « Vieille Europe  » (et pourtant Dieu sait qu’elle est belle !) car fraîchement débarqués d’une Asie en pleine croissance économique et en perpétuel mouvement, nous avions du mal à accepter que notre Europe à nous, notre pays d’enfance, était devenue une grand-mère. Rien n’a changé ici, c’est vrai ; ou presque… mais les changements ont eu lieu plus discrètement, plus lentement, tellement loin de l’effervescence asiatique.

Et pourtant, cette vieille Europe, toute ramollie en apparence, elle avance vite. Je dirais même qu’elle avance trop vite. C’est paradoxal ?

En posant les pieds à Londres puis à Caen, Nantes, Lyon et finalement Paris, la seconde chose qui nous a marqué, c’est le rapport qu’ont les gens avec le temps. Rien ne presse pourtant, les pubs ou clips musicaux mettent plus d’un an à quitter nos écrans apparemment ! Nous sommes donc restés interloqués en rentrant : les gens courent, courent… et ce, tout le temps. Même les panneaux publicitaires galopent sans cesse pour imposer la cadence. Presque personne n’y échappe.

Publicité New York

En un an, j’avais perdu l’habitude de recevoir ces milliers de messages intrusifs. J’ai de la peine pour ces gens autour de moi qui courent sans cesse, après le temps et les superlatifs. Partout nous entendons ou lisons des « extras », des « plus », des « meilleurs » affichés à chaque coin de rue, jusqu’à nous donner l’envie de vomir. Le temps, lui, s’est introduit dans la plupart des conversations. Les hommes deviennent agressifs lorsque le moindre incident perturbe d’une minute leurs habitudes millimétrées de la journée. Un retard d’une demi-heure devient un scandale, un trajet de 5h en train pour traverser la France devient, lui, insupportable, une question brusque dans la rue par un être humain, une agression physique…
Où sont passées ces heures à observer le paysage en silence ? Que sont devenues ces longues heures à attendre dans une échoppe en sirotant un thé, à saluer un voyageur ? « Temps perdu » dans ma culture occidentale d’aujourd’hui. A vrai dire, s’ennuyer ? On ne sait plus.

Nous sommes devenus des étrangers.

Ombres dans le désert de Death Valley

Mais pourtant bien conscient qu’avant notre départ, nous tenions nous aussi ce rythme délirant, c’est « étranger avec nous même » que nous devenons.

Depuis notre retour, comme un pèlerinage, nous marchons sur nos pas. Nous pénétrons les épiceries et les restaurants que nous fréquentions avant ; nous marchons dans les rues que nous empruntions pour travailler, sortir, et vagabonder, autrefois.

Quartier près de rue Violet

75015, métro Dupleix, ligne 6

Et un jour, Juillet 2013, alors que je me sens d’attaque, je me dirige vers la porte de mon ancien appartement puis vers l’entrée de mon ancien travail… J’observe longuement en silence les façades et je songe à ma vie passée, ici, avec sourire. Je reste stoïque pendant presque dix minutes, le regard perdu. Les passants doivent me prendre pour une folle. Je vois ainsi défiler ma vie ; mais curieusement, je n’ai pas l’impression d’être celle qui a vécu au 41 rue Violet, ni travailler au 202 de la Croix Nivert ; comme si une rupture que je n’avais pas sentie venir s’était produite. Le phénomène est presque inexplicable. Comment peut-on devenir étranger avec soi même ? C’est ce qui nous a fait le plus souffrir en rentrant, Fabien et moi, et aucunement la nostalgie : retrouver nos marques en France, mais avec des nouveaux repères et un regard, parfois (pas tout le temps bien sûr) différent.

41 rue Violet

Un défi bien enrichissant finalement ! Une amie, rencontrée par hasard et avec bonheur sur notre chemin, nous a écrit un jour pour nous remonter le moral : « Le regard que l’on porte en voyage ne doit pas seulement retenir les sourires et l’accueil chaleureux ; partout il voit aussi des misères humaines et de la médiocrité. Il faut s’en souvenir pour, en rentrant, ne pas être accablé par les misères et la médiocrité de notre environnement immédiat. Tout comme dans les pays du voyage, il n’y a pas que cela ».

Ainsi nous nous efforçons de reconstruire notre vie, pas à pas, avec le regard « bon », le regard « juste ». Merci Fanny.

Mars 2013, regard sur le manteau blanc qui a recouvert la France

Ce qu’il faut retenir du retour d’un tel voyage, c’est l’élan d’optimisme qui s’est déclenché en nous. Nous apprécions notre confort à sa juste valeur (et j’essaye de ne jamais oublier les conditions  de vie pour certains hommes rencontrés sur mon chemin). Nous nous efforçons de partir chaque matin avec le sourire (comme ces centaines de femmes auquel on ne le prédirais pas) et de rester « perceptible » à notre environnement immédiat, même si parfois, c’est vrai, il dérange ; le bruit, les odeurs, les couleurs et surtout… les hommes. Ne jamais s’enfermer dans une bulle.

Nous redécouvrons avec bonheur notre France, sa culture, son patrimoine et ses paysages. Je suis tombée amoureuse de ses étendues de vert et de ses champs multicolores fuyant jusqu’à l’horizon. Je me souviens aussi de la première image que j’ai eu de Paris – c’était dans le métro aérien – le train avait frôlé les bâtiments haussmaniens de la ville et le soleil s’était  réfléchi dans les vitres des appartements, je me suis alors dit « C’est vrai, Paris est une des plus belles villes au monde ».

Colza de France

Aujourd’hui, les préoccupations majeures, telles que retrouver un travail et un logement, font de nouveau partie de notre vie. Après avoir passé plus de deux mois chez mes parents à reprendre calmement nos repères, nous filions sur la capitale début Juin 2013, sans un sou, mais des idées – certaines un peu folles – plein la tête.

Oh Paris...

Aujourd’hui, il me prend de converser avec plaisir dans le métro avec les « papis », inconnus, assis à mes côtés (terme affectif, bien sur).

Aujourd’hui, Fabien propose spontanément son aide aux pauvres touristes étrangers perdus dans la rue… (en souvenir aux nombreuses aides que chacun nous a déjà apporté).

Aujourd’hui, je me contente bien souvent d’un simple bol de riz fumant, recouvert de quelques légumes frais sautés.

Aujourd’hui, après avoir perdu mon emploi en cours de route, j’ai décidé de me reconvertir.

Et plutôt que de pester, coincés dans un bouchon ou dans le tunnel d’un métro, nous rions haut et fort tous les deux, en nous remémorant cette phrase qui décrivait nos amis khmers « En France, nous arrivons à l’heure, en Asie, nous arrivons dans l’heure ». Oh la la, oui !

Temple zen japonais

Après avoir cherché pendant des semaines des réponses à nos interrogations quant à l’avenir, nous n’avons, en vérité, aucune idée de ce que nous réserve la suite. « Alors ? Le retour ? Et après ? ». Pour tout vous dire, nous n’en savons rien. Même si conscient que nous avançons par moment à contre courant, nous nous efforçons de maintenir notre nouveau regard – ne pas se laisser abattre – et de profiter de chacun des petits bonheurs au quotidien, de les partager avec les gens que l’on aime.

Voilà notre retour.

Une petite coquine s'est glissé sur notre lit !

Mars 20113 : c'est l'heure des retrouvailles avec notre filleule, elle adore sauter sur notre lit !

Quel enseignement ce voyage !

 

 

 

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déjà 5 commentaire, réagissez à ceux ci ou commentez vous aussi à “Alors ? Le retour ?”

  1. « Je me mets à plaindre ces gens autour de moi qui courent sans cesse, après le temps, l’argent et les superlatifs. » ce qui fait vieillir prematurément les gens dans notre « vieille Europe »…

    « Comment peut-on devenir étranger avec soi même ? C’est ce qui nous a fait le plus souffrir en rentrant, Fabien et moi » c’est effectivement le sentiment le plus difficil a surmonter en rentrant au pays… Mais ce sera aussi le moteur qui vous permettera dans le futur de choisir une vie différante des autres… Et tellement plus riche…

    « Nous nous efforçons de reconstruire notre vie, pas à pas, avec le regard « bon », le regard « juste ». »…le long chemin de la reconstruction des repères basé sur la richesse de votre expérience vécue… et qui vous fera trouver votre nouveau chemin de vie…

    « Nous filions sur la capitale début Juin 2013, sans un sou, mais des idées – certaines un peu folles – plein la tête. »… Plein d’idées… votre richesse… Et folles

    • et folles idées… parceque ce sont elles qui vous feront découvrir votre chemin de vie… Une vie que je vous souhaite la plus heureuse du monde parceque VOUS l’aurez choisie vous-mêmes…

      Excitos amigos…

      • Elodie dit :

        Rentrer dans son pays pour mieux choisir par la suite sa propre vie, peut-être différente des autres ?

        Tu parles avec expériences, Christian.

        Le « castillo », ce château s’avançant tendrement sur les rives du Titicaca au Pérou, surplombant avec majesté la région toute entière, ses îles, ses cimes enneigées… fut une des images les plus saisissantes de notre voyage.

        A bientôt

  2. Jacky francine dit :

    …Qui dit retour parle obligatoirement d’un nouveau départ…dans la vie surement… dans la tête bien sûr…. mais surtout dans la manière d’écouler son temps…. c’est fou comme chaque individu qui trimbale sa carcasse en train, en bus, en camping car, à pied , à vélo, ressent chaque grain de sable du sablier qui passe ….un par un… une seule pensée à la fois, un seul chemin à la fois, un pied devant l’autre tout simplement ….rien d’autre !

    Merci pour ce retour plein de sensibilité .
    Les nomades vous embrassent très fort!

    Pap Mam

    • On dit que le voyage permet de se découvrir soi. Il permet aussi de s’interroger sur l’homme, sur le temps, les joies ou les déceptions. Un pas après l’autre, nous faisons le tri pour finalement nous focaliser sur l’essentiel : suivre sa route comme on l’entend. Mais le voyage pointe aussi du doigt nos faiblesses.

      Nous sommes tous fragiles ou bien sensibles.
      Il suffit de l’accepter et d’avancer ! Chaque grain de sable compte pour faire ce que nous devenons.

      On vous embrasse très fort aussi ! Merci de nous avoir « supporté » pendant deux mois après notre retour.

Répondre à Christian Nonis

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