A la recherche du papier perdu en Chine

Cahuita, Costa Rica, Juillet 2012 :
Nous recevons un mail de la tante à Fabien travaillant régulièrement en Chine. Elle nous apprend qu’il nous sera peut-être impossible de nous rendre au Tibet cet été. Je prends la nouvelle un peu à la va vite, après tout nous ne sommes qu’en Juillet. Mais malheureusement une alerte dernière minute tombe une heure plus tard sur le site « Conseils aux voyageurs » du ministère des affaires étrangères de France : les frontières du Tibet sont fermés aux étrangers jusqu’à nouvel ordre. C’est la douche froide pour moi. Fabien me réconforte, d’ici Octobre, tout peut changer… Il a raison, combien de fois cette région de Chine a-t-elle été fermé pour finalement re-ouvrir deux mois plus tard ? Pas de panique, mon joker n’est pas perdu.

Cahuita

Hong Kong, Chine, Fin Août 2012 :
Nous recevons enfin la réponse par mail de notre futur guide tibétain Tashi Dorjee (nous contacter si vous voulez avoir son adresse mail).
Pour vous permettre plus de compréhension, remontons en arrière. Avant de partir en tour du monde, j’avais préparé minutieusement notre expédition pour réaliser mon rêve de monter sur le toit du monde. Je m’étais renseignée sur l’histoire de la Chine et du Tibet ces derniers siècles, lu quelques débats écrits sur la complexité de la situation, j’avais acheté LE Lonely Planet Tibet (en anglais s’il vous plait) et je nous avais concocté un petit parcours sympa de quinze jours avec l’aide du guide. Bref, tout était prêt avant de partir avec Tashi, des guides locaux nous attendaient sur place (je ne voulais pas de guide chinois).
Mais à Hong Kong, la réponse tombe enfin et ce n’est pas pour me plaire ; Tashi nous annonce que les frontières sont ré-ouvertes mais que nous devons trouver trois autres français pour nous accompagner afin d’entrer au Tibet? Il se fout de nous ??
Mes plans tombent à l’eau et je dois désormais chercher une autre agence ou un autre guide à la dernière minute qui accepterait de nous emmener tous les deux là haut (et obtenir ainsi le précieux permis d’entrée). Pas impossible mais difficile…

Hong Kong

Dazhai, région du Guangxi, rizières de l’Épine dorsale du dragon :
Un soir au calme dans l’auberge, je me décide enfin à prendre les choses en main et à fouiller toute la soirée le net un futur guide pour notre expédition. Ce n’est pas une mince affaire croyez moi, je pestais toute la soirée et le lendemain encore ! La Chine a, vous le savez peut-être, le « Great fire wall », un pare feu impitoyable contrôlant la totalité (et censurant souvent) des pages lues sur le web en territoire chinois. Et bien ce soir là, mon moteur de recherche m’aura proposé en page d’accueil tout un tas de sites de voyageurs, de forums, de blogs… mais impossible de les ouvrir… « Erreur de chargement », « Serveur indisponible » et tralala mes fesses. Je m’énerve sérieusement, je suis fliquée, on me cache de choses. Heureusement, j’ai un Fabien avec moi (buté souvent, eu, parfois) cherchant à tout prix à déjouer les pièges des chinois (lui, il aime pas le pare feu, mais alors pas du tout. On touche pas à notre site ! En réalité, j’exagère, ce sont les serveur de OVH situés en France qui sont censurés en Chine). De fil en aiguille, j’obtiens quelques informations.
Évidemment, pas celles que j’attendais. J’avais cependant ma réponse.
Le gouvernement chinois a certes ré-ouvert les frontières, mais cette année ils ont changé les règles :
– il faut toujours un guide officiel pendant tout le séjour
– il faut toujours des chauffeurs officiels pour chaque déplacement (interdiction de prendre les bus locaux)
– le groupe doit être au minimum de cinq personnes (avant c’était un)
– le groupe doit être composé de personnes de même nationalité
– restriction pour certaines nationalités mais j’avoue ne pas avoir retenu lesquelles

Tashi ne s’était donc pas moqué de nous, nous devons, si l’on veut aller au Tibet, trouver trois français avec nous.
A deux semaines de la date du départ en circuit, je commence à désespérer réellement. Comment trouver trois français qui accepteraient de partir à nos dates sur un circuit déjà bouclé  avec Tashi ?

Dazhai

 

Guilin, Bureau de la Sécurité Publique :

Guilin
Non, ce n’est pas le Bureau de la Sécurité Publique derrière.

Souvenez-vous…
Le non-renouvellement de notre visa (encore trop tôt pour faire la demande, il faut attendre Beijing), pourtant nécessaire MAINTENANT afin de lancer des démarches tout aussi compliquées pour obtenir le permis d’entrée au Tibet, sera comme un coup de massue sur mon pauvre crâne. Le retour en taxi à l’auberge sera morose. Je réalise que malgré toute la bonne volonté du monde, en l’occurrence de moi, même lorsque l’on veut, parfois, des choses sont impossibles (j’aurais pu passer illégalement vous allez me dire… mais c’est pas trop mon trip). Je tourne le visage vers la vitre de la voiture. Fabien ayant senti ma douleur me serrera dans ses bras en chuchotant à l’oreille « ce n’est que partie remise, on reviendra un jour rien que pour ça et ce sera encore mieux chérie ».
Un joker pour moi qui s’écroule donc, un de mes rêves qui se reporte à plus tard.

Nos aventures en Bolivie et au Pérou m’avaient pourtant confirmé que j’étais dans mon élément en très hautes montagnes (après adaptation je vous l’accorde) ; fascinée pas ces terres arides, ces montagnes sèches, ce ciel… ces paysages lunaires ! J’étais, depuis le jour où j’ai quitté Lima, excitée de grimper sur le Toit du Monde qui parait-il n’a pas son pareil en matière de beauté.
Il me faudra plusieurs jours pour avaler la pilule.

Deux semaines plus tard, la nouvelle tombait sur « Conseils aux voyageurs » : le Chine referme les frontières du Tibet. Ce n’est que récemment que j’ai vu quelques images choquantes et je me rassure de ne pas y être allée. Mais que se passe-t-il là haut ?…

Permi d'entrée au Tibet

Le coup de tampon manquant.

 

Une mésaventure en cachant toujours une autre il faut croire, nous voilà à Beijing pour notre avant dernière étape. A défaut du Tibet, j’avais programmé pour la suite à la dernière minute un parcours près de Shanghai dans la montagne du Huang Shan

Beijing, Bureau de la Sécurité Publique :
Nous retournons une seconde fois au BSP un vendredi après-midi, l’esprit serein et certains que tout ira vite, pour renouveler notre visa. Et oui, cela fait déjà presque trente jours que nous somme en Chine sans compter Hong Kong, une région à la législation particulière. Le temps passe si vite… ce pays est si grand, il nous reste tant de chose à découvrir ! Étant déjà allés au BSP de Guilin pour ce genre de démarches, notre dossier ayant été accepté, nous pensions y faire un saut de quelques minutes seulement. Et bien non. Vous vous souvenez du BSP de Guilin et des douze travaux d’Astérix ? A Beijing, c’est la même chose mais puissance dix ! Il y a plusieurs étages, des dizaines de guichets et des centaines de personnes attendant sur un siège avec leur dossier et un numéro de ticket. Nous remplissons un nouveau papier avec une adresse d’auberge de Pékin. En effet, nous devons payer une « fausse » nuit d’hôtel pour avoir une vraie adresse de logement touristique à déclarer et s’éviter des démarches trop compliquées – comment expliquer que nous sommes accueillis par untel et untel d’une société dont on ne dépend pas ?

Arrivés à la file d’attente, un employé nous arrête afin de vérifier si notre dossier est au complet. Mais oui Monsieur, pas de souci.
Ah… notre dossier n’est plus complet à Beijing ?…
Nous repartons en arrière vers un comptoir où un autre Monsieur nous tendra un papier avec une liste complète pour une demande de visa et/ou de renouvellement. Visiblement, à Beijing, demande de visa ou renouvellement même combat. Dépités, nous lisons un à un les paragraphes :

- le formulaire fourni par le BSP rempli, daté, signé (jusque là, pas de problème)
– une photo d’identité couleur
– une photocopie du visa et du tampon d’entrée (pas pour la demande de visa bien sûr)
– une photocopie de la page principale du passeport
– un certificat d’hébergement officiel (!) de votre hôtel, reçu à votre enregistrement (à condition de le demander… ce que nous n’avions pas fait faute d’être au courant)
– un compte bancaire ayant les fonds suffisants pour voyager en Chine

Nous tendons un RIB. Le Monsieur accroche sur un premier détail « Il y a vos deux noms ? » Ben oui, c’est normal, nous vivons ensemble et avons un compte commun. Il accrochera sur un second détail « Ces chiffres là ? » Il pointe du doigt notre numéro de compte et code guichet, etc « C’est la somme qu’il y a sur votre compte ? » Ben non Monsieur, c’est un RIB dit-on en nous retenant de pouffer de rire. Il n’y a pas ce genre d’information sur un RIB, vous n’avez pas à le savoir.

Pas de bol, il faut croire qu’en Chine si… Le gouvernement chinois se prend donc le droit de vérifier que tout bon touriste possède bien sur son compte – accrochez-vous – la somme de 100$ par jour et par personne. Et je ne rigole pas !
Nous sautons au plafond, déjà parce que cette somme n’est pas directement sur notre compte et suffirait à finir notre tour du monde quasiment. Le Monsieur restera de marbre lui, et insistera « Vous revenez avec tous ces papiers et vous pourrez renouveler votre visa ».

Nous rentrons chez nous bredouille et plus nerveux qu’à aller. Il faut appeler notre banque rapidement pour qu’elle nous envoie dans les plus bref délais (nous serons à la porte dans une semaine) un papier officiel certifiant la présence de 6 000$ sur notre compte. Nous sommes écœurés de devoir joindre ce genre d’information à un gouvernement pour une simple visite touristique de quinze jours en Chine. Qu’est ce que ça peut bien leur fou.. que l’on ait 6 000$ ?? Mais qui a besoin de 100$ par jours pour vivre en Chine ? Pour 4€ je vous fait un menu complet à déjeuner !
Nous réussirons à joindre HSBC, le décalage horaire joue en notre faveur. Ils comprennent notre demande et seront plutôt efficace, je veux dire face à des petits clients comme nous. A partir de ce vendredi et durant tout notre weekend s’ensuivront tout un tas de démarches, de courses folles et d’échanges de fax (pas facile quand on en a pas) afin que l’on reçoive par mail grâce aux parents de Fabien et des collègues de sa maman alertés dans l’heure qui suit pour nous aider. Merci encore.
Nous recevrons ce fichu papier samedi soir, juste à temps pour courir dans une nouvelle auberge nous enregistre pour « dix nuits », payons la somme de cinquante euro, pour obtenir le certificat officiel de logement à Beijing. C’est du grand délire ! Mais enfin, notre dossier est au complet.

Le Lundi, nous retournons au BSP pour finir ce que nous avions commencé. Mince ! Nous avons une ville à visiter ! La première dame rencontrée s’avéra ne pas parler un trait d’anglais. Pour un pôle « visa » par définition visité par des étrangers, c’est embêtant. Ah la Chine… Elle nous renverra sur un second guichet.
La seconde demoiselle acceptera la totalité de notre dossier sauf un papier, le papier d’HSBC certifié parce qu’il est en français. Fabien insiste, il pointe le montant clairement indiqué et nos deux noms juste au dessus. Ils ont décidé d’être chiants ? Elle accrochera sur un second détail : nos deux noms sur le même papier. Nous tenons le même discours que vendredi, elle comprendra mais insistera cependant sur la traduction chinoise de notre papier et nous indiquera une agence agrée par très loin à deux cent mètres. Avant de la quitter nous nous assurons de n’avoir plus que cette démarche à faire afin de renouveler notre visa. « Si l’on fait traduire ce papier en chinois, c’est bon, notre dossier est au grand complet ? Vous êtes sûre ? »
« Oui ».

Nous revoilà dehors dossier sous le bras. Le centre agréé de traduction nous accueillait bel et bien deux cents mètres plus loin, tout sourire avec l’addition salée de 340 yuans (plusieurs nuits d’hôtel pour nous) et ses 24h de traitement. N’oublions pas que dans moins d’une semaine, nous serons mis à la porte et que pour renouveler un visa, il faut cinq jours ouvrables… Le compteur tourne sérieusement et nous avons un vol depuis Shanghai pour le Japon en jeu le 10 octobre.

Vingt quatre heures plus tard, nous étions de retour au BSP, pour la troisième fois, dossier complet avec nous : papier original HSBC certifiant nos 6 000 $, sa traduction officielle, sa photocopie et notre certificat d’hébergement. Nous respirons un bon coup avant de jouer notre dernière carte près des autorités chinoises.

Notre dossier sera au grand complet les cinq premières minutes… avec très vite, un défaut.
« Vous avez vos deux noms sur le même papier de la banque ? Ce n’est pas possible ». Je reste muette et Fabien prendra la parole pour tenir pour la troisième fois d’affilée le même discours. Sauf que cette fois, la dame ne l’entend pas de cette oreille. Non c’est non. Elle refuse notre dossier catégoriquement. Fabien s’énerve pour de bon – je crois que c’est la première fois depuis notre départ. « Une de vos collègues, oui une de vos collègues vous avez bien entendu, nous a dit que ce papier était bon, qu’il ne manquait plus que la traduction ! Cela fait trois fois que je viens ici ! Essayez de tenir le même discours ! Nous avons un compte commun, c’est pas compliqué ?? Tout ce qu’il y a de plus banal en France ! » La collègue de la veille sera bien sûr appelée et n’arrangera pas notre situation. Je pose donc la question qui me titille : « En Chine, les gens n’ont pas de compte commun ? » Apparemment non.
Nous resterons là assis à ce petit bureau au milieu d’un grand hall rempli d’hommes d’affaires et de voyageurs comme nous, désespérés à nous acharner contre ces dames – non, contre le gouvernement chinois en réalité – afin qu’un pauvre compte commun soit accepté. Mais en haussant à ce point le ton, n’avions nous pas déjà accepté intérieurement de perdre la partie ?

L’alternative tombe enfin, ces dames nous trouve (encore !) une solution à nos problèmes : ouvrir un compte chacun contenant 3 000$ en Chine (ou nous marier). Nous leur rions presque au nez, je sais c’est indécent mais quand les nerfs lâchent… vous comprendrez. Impossible mesdames de faire ce genre de démarche en seulement 48h sans téléphone, sans adresse fixe, sans emploi en Chine. Elles jetteront alors notre dossier désormais en vrac pour conclure le débat :
« Vous ouvrez un compte en Chine ou vous nous fournissez un certificat de mariage rapidement… ou alors nous ne renouvellerons pas votre visa ». Point.

Nous récupérerons nos quarante pages à la va-vite pour échapper au plus vite à cet enfer. Nous marchons dans la rue en silence, le visage rouge et les mâchoires crispées. Aucun de nous deux n’ose prendre la parole. C’est seulement dix minutes plus tard, loin, très loin du Bureau de la Sécurité Publique (une démarche qui nous aura couté 100 euro quand même), que les premiers mots sortent. « Nous allons quitter la Chine plus tôt que prévu ».

Que dire de plus ?
Je crois que tout est dit ici. Nous avons été pris pour des imbéciles. Et après avoir couru pendant quatre jours entiers, nous sommes épuisés (cela nous a emmené quand même dans les rues des ambassades au fin fond de Beijing pour essayer de contacter celle de France, ambassade qui a déménagé depuis l’année dernière mais qui n’est pas accessible en taxi car située à côté de celle du Japon. Vous savez le Chine et le Japon, en ce moment c’est pas trop le grand amour… Bref, une course infernale).

Oui, c’est ça, tout a été dit et un fort goût amer est présent dans nos bouches. Je crois même que le mot est faible… Il faut que l’on parte vite de Chine, ou sinon nous allons haïr tout ce qui nous entoure. Je tente de me raccrocher à nos merveilleux souvenirs à Yanghsuo et à Dazhai, à Hong Kong aussi. Je sais que plus tard, avec beaucoup de recul, ils prendront le pas sur cette mésaventure. Pour le moment, c’est difficile. Le compteur tourne : il ne nous reste plus que cinq jours avant d’être expulsés de Chine, cinq maigres jours.
Le soir, pour remonter notre moral, nous nous faisions particulièrement plaisir en nous rendant dans une épicerie d’import de produits étrangers appréciés par les expatriés.

Repas français à Beijing

Une baguette, du jambon blanc à la coupe, du bleu, du gouda et... du camembert !

Ce repas frugal, attendu depuis tant de mois (et oui, le fromage nous manque depuis la Bolivie) fut un véritable festin. On va être honnête : le camembert, y’a rien a faire, c’est trop bon !
Le sourire revenu, les comptes  de notre situation financière faits afin de voler vers de nouvelles aventures, nous nous endormirons paisiblement afin de recharger notre énergie à bloc. Nous avons du temps à rattraper en tant que simple touristes dans cette merveilleuse ville et il reste encore certains points à ne pas manquer dans la région ! Tic tac, Tic tac, Tic tac.
Dans cinq jours, nous devrons écourter notre séjour en Chine et changer de cap pour deux semaines « mystères » avant de rejoindre le Japon. Mais au fait chéri ? Où allons nous partir ??…

Les sacs à dos de notre tour du monde

Nos sacs à dos attendent sagement la prochaine destination inédite après la Chine.

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déjà 2 commentaire, réagissez à ceux ci ou commentez vous aussi à “A la recherche du papier perdu en Chine”

  1. christian dit :

    Courage… Ce dût être la parole clef… dans un meli melo de ce genre…
    On en est malade, en différé, avec vous…
    Franchement la Chine… une puissance du monde de demain?… une fois libéré des jougs de l’esclavitude et du dictat… et seulement alors…

    • Fabien dit :

      Merci Christian pour ce message touchant. Au début, courage était bien le refrain chanté ; mais vers la fin, ce fut l’acceptation d’une défaite inévitable, prêts à tourner le dos la tête haute à cette mésaventure pour continuer notre chemin.

      Tu as réussi à tout dire en seulement quelques mots.

      La Chine est un pays des extrêmes, c’est sûr, sa visite reste cependant passionnante. Nous reviendrons… avec un regard différent.

      Elodie et Fabien

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